Non, il ne sera pas question d’au-delà ici, mais bien de ce qu’il advient d’un corps humain juste après l’arrêt de la vie. Car loin d’être « mort » au sens biologique du terme, un cadavre devient rapidement le siège d’un foisonnement d’activité… peu ragoûtante, certes, mais hautement instructive.
La décomposition commence quelques minutes seulement après la mort cellulaire, avec un processus appelé autolyse, ou auto-digestion. Le cœur ayant cessé de battre, les cellules sont privées d’oxygène, et l’acidité interne augmente tandis que des déchets chimiques s’accumulent. Les enzymes digestives libérées commencent à détruire les membranes cellulaires : les tissus se décomposent, en particulier dans le foie et le cerveau, particulièrement riches en eau et en enzymes.
En parallèle, la température corporelle chute progressivement pour s’aligner avec celle de l’environnement. C’est alors que survient la rigidité cadavérique. En l’absence d’énergie, les protéines responsables de la contraction musculaire (actine et myosine) restent « verrouillées », rendant les muscles rigides. La rigidité débute aux paupières, à la mâchoire et au cou, avant de gagner les membres.
Le règne des bactéries
Dès les premières heures, l’écosystème bactérien préexistant dans notre corps — en particulier dans l’intestin — prend le relais. Nos intestins abritent des milliards de bactéries qui, une fois le système immunitaire hors service, se répandent librement. Ce phénomène débute à la jonction entre le petit et le gros intestin.
Une étude menée en 2014 par Gulnaz Javan, spécialiste en médecine légale, a mis en lumière une sorte « d’horloge microbienne ». Selon ses résultats, les bactéries atteindraient le foie environ 20 heures après le décès, puis coloniseraient successivement les organes internes, jusqu’à envahir l’ensemble du corps en 58 heures environ.
Ces bactéries digèrent les tissus en profondeur, déclenchant la putréfaction : elles convertissent les sucres en méthane, ammoniac et sulfure d’hydrogène, provoquant le gonflement de l’abdomen et des décolorations marbrées caractéristiques. L’hémoglobine est transformée en sulfamoglobine, donnant à la peau des teintes noires ou verdâtres.

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Crédits : iStockQuand la décomposition devient visible
À ce stade, les changements sont non seulement internes, mais aussi externes. Le corps entre dans une phase où il attire des organismes extérieurs : les insectes, et en particulier les mouches et mouches bleues. Ces dernières sont capables de détecter à distance les composés volatils émis par un corps en décomposition.
Elles pondent rapidement dans les orifices naturels ou les plaies : environ 250 œufs chacune, qui éclosent en 24 heures pour libérer des asticots. Ces larves se nourrissent des chairs, muent, grossissent, puis se métamorphosent en mouches adultes, prêtes à recommencer le cycle.
Le corps devient alors un point central dans une chaîne alimentaire incluant coléoptères, acariens, guêpes, fourmis ou encore araignées. En l’absence de charognards plus gros, les larves assurent la dégradation complète des tissus mous. À la fin du processus, elles migrent dans le sol, laissant parfois derrière elles des sillons visibles à l’œil nu.
La mort, source de vie
Une fois la décomposition avancée, le corps libère dans le sol d’importantes quantités de nutriments : azote, phosphore, potassium, magnésium… Pour chaque kilogramme de masse corporelle sèche, on estime qu’environ 32 g d’azote sont libérés dans le sol. Ce cocktail organique modifie profondément l’écosystème local.
Dans un premier temps, cette libération peut tuer une partie de la végétation environnante — probablement en raison de la toxicité de l’azote ou de la présence de résidus médicamenteux. Mais à long terme, la richesse nutritive du sol augmente, attirant vers de terre, nématodes et microorganismes, et favorisant une biodiversité végétale plus importante.
Pour les chercheurs, comprendre ces processus ne permet pas seulement d’étudier la mort. Cela ouvre aussi des pistes pour localiser des corps ensevelis (grâce à l’analyse des sols) ou estimer plus précisément l’heure du décès. Car au fond, même un cadavre est encore un organisme… vivant, à sa manière.