En 2019, un ophtalmologue relatait le cas d’une patiente qui se plaignait d’un gonflement de l’œil qui l’empêchait de fermer sa paupière correctement. Après un examen, il découvrit quatre abeilles minuscules et encore vivantes qui se nourrissaient de ses larmes, bien cachées à l’intérieur de sa paupière inférieure. Il s’agissait toutefois d’abeilles du genre Halictidae, non pas attirées par le pollen, mais par la sueur et le pollen. L’abeille que l’on rencontre habituellement dans nos jardins n’est quant à elle pas très friande de contact humain. Cela n’a néanmoins pas empêché la rencontre malheureuse entre l’un de ces insectes pollinisateurs… et l’œil d’un patient pour qui la piqûre d’abeille aurait pu très mal tourner. Le 22 juin dernier, The New England Journal of Medicine publiait sur ce cas médical insolite.
Une piqûre d’abeille au niveau de l’œil
Si une piqûre d’insecte n’est jamais agréable, cela peut devenir inquiétant lorsque cela se produit au niveau des yeux. Cette mésaventure, un homme de 55 ans originaire de Philadelphie (États-Unis), l’a vécue. En plein travail, tandis qu’il marchait non loin d’une ruche, plusieurs abeilles dirigèrent vers lui, alors qu’il n’avait manifestement rien fait pour les provoquer. L’un de ces insectes arriva à atteindre son œil et à le piquer. Le patient se rendit immédiatement aux urgences les plus proches. Toutefois, malgré les efforts des médecins sur place, un fragment, invisible à l’œil nu, resta planté dans l’œil.
Aussi, deux jours plus tard, l’homme dut se résoudre à consulter les médecins du Wills Eye Hospital, une clinique spécialisée en ophtalmologie. En effet, son œil droit était injecté de sang, très inflammé et gonflé. Par ailleurs, à la douleur s’ajoutait la peur de perdre la vue, la vision s’étant extrêmement empirée sur ce court laps de temps. Au moment de sa prise en charge, il n’était en effet plus capable que de compter des doigts, mais ne voyait rien de plus lorsqu’il fermait l’autre œil. Comme l’explique Talia Shoshany, l’une des médecins qui ont soigné le patient : « je ne suis pas surprise que les urgences aient manqué ce petit fragment. Ils en ont retiré la majeure partie du dard, mais le petit morceau n’était visible qu’avec une lampe à fente. »
Une intervention pour retirer le dard de l’abeille
Comme l’explique l’étude, à l’examen, l’œil « présentait une injection conjonctivale, un œdème inférieur de la cornée [gonflement] et un infiltrat inflammatoire [un amas de cellules inflammatoires] au niveau du limbe nasal [jonction entre le blanc de l’œil et la cornée du côté du nez] avec un morceau de dard. Un hyphéma [du sang qui s’amasse à l’avant de l’œil] attribué au trauma de l’iris lié au dard enfoncé et aux saignements des vaisseaux sanguins au niveau de l’iris [fortement dilatés] était également observé ». Au regard de la gravité de la situation, les ophtalmologues décidèrent donc d’agir au plus vite.
En agrandissant la zone dix à seize fois avec un microscope et en utilisant un colorant fluorescent dans la cornée, les médecins purent visualiser clairement le fragment, logé dans les tissus transparents situés entre l’iris et la sclère, directement dans le blanc de l’œil. Ils purent ensuite le retirer, aidés d’un microforceps spécialisé pour l’ophtalmologie.
Plus de peur que de mal au final
Heureusement, cinq mois après cette intervention, grâce au traitement prescrit (des stéroïdes topiques et des gouttes pour les yeux antibiotiques), à une chirurgie de la cataracte et à une transplantation de cornée nécessaire suite à l’utilisation des stéroïdes et aux conséquences du venin sur la cornée, le patient présente une vue améliorée au niveau de l’œil droit (20/25).
Un cas extrêmement rare qui appelle une réaction adéquate
Les cas de piqûres d’abeille ou de guêpes sont rares dans la littérature scientifique, mais peuvent faire de sérieux dégâts à la vision et plus globalement à la santé oculaire. Le piquant du dard peut en effet transpercer les tissus des yeux et relâcher du venin à l’intérieur, ce qui peut exposer l’arrière du globe oculaire à des toxines. Cela occasionne alors de fortes douleurs et des gonflements inconfortables. Il arrive aussi qu’en plus du dard, une partie de l’abdomen de l’insecte reste coincé dans l’œil. En outre, la piqûre peut arracher la cornée, tout comme les tentatives de gratter l’œil qui vont aussi de pair avec un fort risque infectieux.
Par ailleurs, si retirer le dard peut aider l’organisme à réagir et soulager les symptômes, 90 % du venin s’injecte dans les trente secondes suivant la piqûre et il arrive qu’une chirurgie s’avère nécessaire pour les dards trop enfoncés. Beaucoup de spécialistes s’accordent donc sur le fait qu’il vaut mieux ne pas le retirer soi-même pour éviter d’endommager plus encore l’œil. De plus, la vision reste parfois parfaite malgré la présence du corps étranger. Une étude dans les années 70 rapportait d’ailleurs le cas d’un patient a vécu vingt-huit ans avec un dard dans l’œil sans ressentir la moindre gêne ni perte de vision.
Dans cette étude, les spécialistes insistent en tout cas sur la rareté de ce type d’incident (une chance sur 15 300). C’était d’ailleurs la toute première fois que les médecins en traitaient un. Et si vous deviez être l’un de ces rares malchanceux, ils insistent sur l’importance de voir un ophtalmologiste dans les plus brefs délais.