prédation océan
Crédits : AndrisBarbans/istock

C’est le plus grand événement de prédation jamais observé dans l’océan

Le capelan, un petit poisson arctique essentiel aux écosystèmes marins, se rassemble chaque année pour se reproduire, attirant alors des milliers de prédateurs, notamment la morue de l’Atlantique. Cette année, des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de l’Institut de recherche marine de Norvège ont observé l’un de ces événements de prédation d’une ampleur sans précédent.

Observer l’invisible

L’étude de tels phénomènes dans un océan vaste et en perpétuel mouvement pose un défi majeur aux océanographes. Comment observer des millions de poissons interagissant sur des dizaines de kilomètres de distance ? Pour opérer, des chercheurs ont utilisé une technologie avancée, appelée Ocean Acoustic Waveguide Remote Sensing (OAWRS), capable de cartographier de grandes populations de poissons en utilisant des ondes sonores. En envoyant des ondes acoustiques depuis un bateau, le système capte les échos renvoyés par les bancs de poissons, un peu comme un radar. Ce système d’imagerie, conçu pour fonctionner sur des centaines de kilomètres carrés, permet de suivre en temps réel les mouvements des poissons et de comprendre comment ils se regroupent.

Pour capturer avec précision les interactions entre espèces, les chercheurs de l’équipe du MIT ont également utilisé une technique multispectrale qui analyse les sons en fonction des fréquences spécifiques aux espèces. Grâce à cela, ils ont pu distinguer les capelans, aux vessies natatoires petites et résonantes (des organes internes remplis de gaz qui permettent de contrôler leur flottabilité dans l’eau), des morues, aux plus grosses vessies qui vibrent à des fréquences basses.

Un affrontement massif

Lors de cette observation unique en pleine mer de Barents, au large des côtes norvégiennes, le comportement des capelans a rapidement pris une ampleur exceptionnelle. Au début de la journée, ces petits poissons étaient dispersés en petits groupes à la recherche d’un lieu pour pondre leurs œufs. Néanmoins, au fur et à mesure de leur déplacement, ils ont commencé à se rassembler pour former un gigantesque banc. Les chercheurs estiment qu’environ vingt-trois millions de capelans ont formé un point chaud d’environ dix kilomètres de long et se déplaçaient comme une vague cohérente.

Ce rassemblement, bien que défensif, a rapidement attiré l’attention des morues qui se sont elles aussi regroupées pour former un banc massif en vue de se nourrir. En quelques heures, près de 2,5 millions de morues s’étaient ainsi réunies pour s’attaquer aux capelans. L’événement de prédation qui s’en est suivi a été à la fois spectaculaire et dévastateur : plus de dix millions d’individus ont été consommés en quelques heures, ce qui représente plus de la moitié du banc initial. Jamais un tel événement n’avait été observé ni documenté dans l’océan.

capelans morues prédation
Les chercheurs ont utilisé une technique de cartographie acoustique à grande échelle pour suivre les populations de capelans. Crédits : Nicholas Makris et coll.

Un équilibre fragile

Le capelan joue un rôle crucial dans les écosystèmes marins en tant que proie pour de nombreuses espèces comme la morue, le phoque et divers oiseaux marins. Sa disparition ou une réduction de sa population pourrait donc affecter tout l’écosystème et provoquer un effet domino qui toucherait des espèces dépendant directement ou indirectement de ce petit poisson pour survivre. Bien que ce banc de capelans ne représente qu’une infime partie de la population totale, les chercheurs estiment que le réchauffement climatique pourrait aggraver ce genre de phénomène.

Avec la fonte des glaces de l’Arctique, ces poissons doivent en effet nager de plus en plus loin pour trouver des lieux de reproduction adaptés, ce qui les rend plus vulnérables aux prédateurs. Les chercheurs soulignent que ce type de prédation à grande échelle pourrait se multiplier avec l’évolution des conditions climatiques, ce qui poserait un risque pour la stabilité des populations de capelans et, par extension, pour l’équilibre marin en général.

L’équipe de recherche projette d’utiliser la technologie OAWRS pour étudier d’autres espèces dans les années à venir. Grâce à ces travaux, ils espèrent fournir des informations clés aux organismes de conservation marine pour éviter l’effondrement de certaines populations de poissons, en détectant les points chauds où la prédation est la plus intense et où les pressions écologiques sont les plus fortes. À l’avenir, ces efforts pourraient être cruciaux pour préserver non seulement le capelan, mais aussi la santé de l’écosystème marin dans son ensemble.

Vers une meilleure gestion des écosystèmes marins

L’observation d’un tel événement de prédation offre des perspectives précieuses pour la gestion durable des écosystèmes marins. En combinant des technologies avancées comme l’OAWRS et l’imagerie multispectrale, les chercheurs peuvent désormais identifier les zones critiques où les interactions entre espèces sont les plus intenses. Ces informations sont essentielles pour orienter les politiques de conservation et limiter les pressions anthropiques, comme la surpêche, qui exacerbent les déséquilibres déjà fragiles. De plus, en tenant compte des impacts du changement climatique sur les migrations et la reproduction des espèces, ces recherches contribuent à anticiper les changements dans la dynamique des populations marines et à développer des stratégies d’adaptation pour maintenir l’équilibre des écosystèmes à long terme.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.