Bonobos
Crédits : Anup Shah.

Les bonobos perçoivent le manque d’information… et agissent en conséquence

Les animaux comprennent-ils ce que les autres savent ou ignorent ? Cette question intrigue les scientifiques depuis des décennies. Si nous, humains, utilisons constamment notre intuition pour deviner les pensées et les connaissances de notre entourage, cette capacité, appelée théorie de l’esprit, semble rare dans le règne animal. Pourtant, une étude récente menée par Luke Townrow et Christopher Krupenye, deux chercheurs de l’université Johns Hopkins, suggère que les bonobos, nos cousins évolutifs les plus proches, possèdent une forme de cette aptitude cognitive.

Qu’est-ce que la théorie de l’esprit ?

La théorie de l’esprit désigne la capacité à comprendre que les autres ont des pensées, des émotions et des connaissances différentes des nôtres. Cette aptitude permet d’anticiper ou d’interpréter le comportement d’autrui en fonction de ce qu’il sait ou ignore. Chez l’être humain, elle joue un rôle fondamental dans les interactions sociales en influençant notre manière de coopérer, de tromper ou encore d’enseigner.

Depuis plusieurs décennies, les scientifiques s’interrogent sur la présence d’une forme de théorie de l’esprit chez d’autres espèces. Des expériences ont suggéré que certains animaux comme les chimpanzés, les corbeaux ou les chiens pourraient être capables de reconnaître les intentions ou l’état de connaissance d’un congénère ou d’un humain. Par exemple, des études ont montré que les chimpanzés évitent de voler de la nourriture lorsqu’un dominant les regarde ou que certains oiseaux cachent leur nourriture différemment lorsqu’ils se sentent observés. Ces comportements indiquent que ces animaux ne réagissent pas uniquement à des indices visibles, mais qu’ils pourraient aussi se représenter l’état mental des autres.

Cependant, ces résultats restent controversés. Il est souvent difficile de distinguer une véritable compréhension des états mentaux d’un simple apprentissage basé sur des indices extérieurs comme la posture, le regard ou les gestes. Pour trancher cette question, des chercheurs ont conçu une nouvelle expérience impliquant des bonobos. L’objectif : tester leur capacité à identifier l’ignorance d’un humain et à adapter leur comportement en conséquence.

Une expérience ingénieuse pour tester la compréhension des bonobos

Pour explorer cette question, deux chercheurs de l’université Johns Hopkins ont mis au point une expérience simple, mais efficace. Elle repose sur un jeu bien connu des arnaqueurs de rue : celui des trois gobelets. Le principe est le suivant : un expérimentateur cache une friandise sous l’un des trois gobelets sous les yeux d’un bonobo. Ensuite, un second humain, chargé de récupérer la friandise pour l’animal, entre dans la pièce. Néanmoins, il existe deux variantes du test. Dans la première, la cloison qui sépare les deux humains est transparente : le second expérimentateur voit clairement où la friandise a été cachée. Dans la seconde, la cloison est opaque, ce qui l’empêche d’assister à la scène. Il ignore donc où se trouve la récompense.

Le bonobo sait quant à lui toujours où est cachée la friandise. La question clé est alors de savoir s’il va modifier son comportement en fonction de l’état de connaissance de son partenaire humain.

Les bonobos, sensibles à l’ignorance de leur partenaire

Les résultats de l’expérience sont sans équivoque. Lorsque l’humain ne sait pas où se trouve la friandise à cause de la cloison opaque, les bonobos réagissent différemment. Ils pointent plus rapidement et plus fréquemment du doigt le bon gobelet comme s’ils tentaient de l’aider à trouver la bonne réponse. À l’inverse, lorsque l’humain a vu où la friandise a été cachée, ils prennent plus de temps avant de réagir comme s’ils supposaient qu’aucune indication n’était nécessaire.

Ce comportement suggère que les bonobos ne se contentent pas de pointer mécaniquement du doigt la nourriture, mais qu’ils adaptent leurs actions en fonction de ce que leur partenaire sait ou ignore. Ils semblent capables de se représenter l’état mental de l’autre, une aptitude qui relève précisément de la théorie de l’esprit.

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Crédits : Jeff McCurry/iStock

Une découverte majeure, mais des limites à explorer

Cette étude apporte des preuves solides que les bonobos possèdent une forme de compréhension de l’ignorance humaine. Toutefois, les chercheurs restent prudents. L’expérience repose sur une situation artificielle, éloignée des interactions naturelles des bonobos dans la nature. De plus, l’étude ne porte que sur trois individus, ce qui limite la généralisation des résultats à l’ensemble de l’espèce.

Un autre point à considérer est la variabilité individuelle. L’un des bonobos testés, nommé Teco, avait tendance à pointer du doigt la nourriture en toutes circonstances, indépendamment du niveau de connaissance de l’humain. Ce type de comportement rappelle que comme chez les humains, tous les individus ne réagissent pas de la même manière face à une même situation.

Un pas de plus vers la compréhension de l’intelligence animale

Malgré ces limites, cette étude marque une avancée importante dans la compréhension des capacités cognitives des bonobos. Elle montre que parmi nos plus proches parents dans le règne animal, certains individus sont capables de comprendre et d’anticiper l’ignorance d’autrui. Ces résultats s’ajoutent aux nombreuses découvertes récentes qui révèlent des formes d’intelligence sociale et de communication bien plus développées chez les primates qu’on ne le pensait auparavant.

Alors que les recherches se poursuivent, ces travaux posent une question fascinante : si les bonobos possèdent une ébauche de théorie de l’esprit, à quel point leur perception du monde intérieur des autres est-elle proche de la nôtre ?

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.