Sexisme, intolérance, laxisme… Blue Origin fustigée par ses propres employés

Jeff Bezos
Crédits : Blue Origin

À la traîne derrière SpaceX malgré le récent succès du premier vol de son lanceur New Shepard, Blue Origin essuie un nouveau revers. Dans un essai portant sur la culture de l’entreprise, une vingtaine d’employés actuels et anciens évoquent des problèmes de sécurité, des attitudes sexistes et un manque d’engagement de la société envers l’avenir de la planète.

Un rapport fulgurant

On ne peut pas dire que l’ambiance soit au beau fixe, chez Blue Origin. Déjà méprisée par de nombreux passionnés de l’aérospatial pour son attitude mesquine envers la concurrence, le tout en essuyant un retard important dans ses différents projets en cours, la société semble également visée par son propre camp. Selon un ancien responsable des communications chez Blue Origin, appuyé par une vingtaine d’autres employés actuels et anciens, l’entreprise fondée par Jeff Bezos serait en proie au sexisme, intolérante envers les siens et particulièrement laxiste sur les problèmes de sécurité.

Ces allégations ont été avancées dans un essai publié jeudi sur le site internet Lioness.

«D’après notre expérience, la culture de Blue Origin repose sur une fondation qui ignore le sort de notre planète, ferme les yeux sur le sexisme, n’est pas suffisamment à l’écoute des problèmes de sécurité et fait taire ceux qui cherchent à corriger les torts», écrivent les auteurs de l’essai. «Ce n’est pas le monde que nous devrions créer ici sur Terre, et certainement pas comme notre tremplin vers un meilleur».

Toujours d’après cet essai, certains employés auraient également vécu des «expériences qu’ils ne peuvent que qualifier de déshumanisantes», et seraient «terrifiés par les conséquences potentielles de s’exprimer contre l’homme le plus riche de la planète».

Concernant les problèmes de sécurités cités, le le groupe d’employés fait référence aux efforts déployés par la société pour augmenter le taux de vol de son véhicule suborbital New Shepard. « De l’avis d’un ingénieur qui a signé cet essai, Blue Origin a eu de la chance que rien ne se soit produit jusqu’à présent’« , peut-on lire. Beaucoup d’auteurs de cet essai ont également souligné qu’ils ne prendraient jamais le risque de voler à bord de ce véhicule.

La Federal Aviation Administration (FAA) a rapidement réagi suite à la publication de cet essai. Interrogée par SpaceNews, l’agence a déclaré prendre « très au sérieux » chacune de ces allégations. Une enquête sera bientôt ouverte.

La direction particulièrement visée

Après la publication de l’essai, Ars Technica s’est entretenu avec plusieurs employés de Blue Origin pour en apprendre davantage sur ces allégations. Toutes ces sources ont convenu que cet essai intégrait des éléments de vérité, citant notamment les critiques virulentes envers Jeff Bezos lui-même, mais aussi de son directeur général Bob Smith.

«La dissidence professionnelle chez Blue Origin est activement étouffée. Smith a personnellement dit à l’un d’entre nous de ne pas permettre aux employés de poser facilement des questions dans les mairies de l’entreprise, l’un des seuls forums disponibles pour une discussion ouverte et en direct».

Un autre exemple de gestion cité dans l’essai est la décision de Jeff Bezos, après la décision de la Cour suprême dans l’affaire d’arbitrage Epic Systems, de forcer les employés à renoncer à leur droit de résoudre les conflits du travail devant les tribunaux.

«En 2019, la direction de Blue Origin a demandé à tous les employés de signer de nouveaux contrats avec une clause de non-dénigrement les obligeant, ainsi que leurs héritiers, à ne jamais dire quelque chose qui « nuirait à la bonne volonté de l’entreprise »», écrivent notamment les auteurs de l’essai. En outre,«les contrats de certains employés qui partent exigent désormais qu’ils paient les frais juridiques de la société si la société choisit de les poursuivre pour rupture de contrat».

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Le lanceur New Shepard s’envole. Crédits : Blue Origin

De nombreux revers

Cet essai est évidemment susceptible de nuire davantage à Blue Origin. Certes, la société a connu sa plus grande réussite à ce jour en juillet, avec le premier vol habité réussi de son véhicule New Shepard à une centaine de kilomètres au-dessus du sol, mais ce lancement ne doit pas éclipser le reste.

Au cours de ces dernières années, et particulièrement durant ces derniers mois, Blue Origin s’est en effet embourbée dans plusieurs de ses projets.

Au printemps, la société n’a pas réussi à décrocher un contrat de la NASA pour construire un atterrisseur pour ramener les astronautes à la surface de la Lune. La société a ensuite fait appel de la décision auprès du Government Accountability Office fédéral, avant de perdre cet appel. Elle poursuit désormais la NASA devant la Cour fédérale des réclamations des États-Unis, au grand dam de l’agence américaine, de son concurrent SpaceX et de tous les passionnés de l’espace.

Il y a quelques mois, la perte d’un contrat lucratif avec le Pentagone a également obligé la société à repousser de nouveau le lancement inaugural de son nouveau lanceur New Glenn à 2022. La société s’était en effet impliquée dans le cadre du nouveau programme de lancement de la sécurité nationale de l’armée de l’air qui garantissait à deux compagnies américaines des contrats à plusieurs milliards de dollars et une part de tous les lancements du Pentagone entre 2022 et 2027. L’armée de l’air avait finalement jeté son dévolu sur SpaceX et United Launch Alliance.