communauté microbienne écosystème buccal germes bactéries champignons dans la bouche plaque dentaire
Crédits : Bet_Noire/iStock

Ces bactéries dans votre bouche se reproduisent d’une manière rare… et très étrange

L’un des écosystèmes les plus diversifiés de la planète se trouve à l’intérieur de votre cavité buccale et il ne s’agit en réalité que d’une communauté microbienne parmi tant d’autres dans l’immense écosystème connu sous le nom de corps humain. En tout, on estime qu’il y a en moyenne 100 millions de bactéries par millilitre de salive dans la cavité buccale. Il existe par ailleurs plus de 500 espèces différentes dans la bouche qui varient d’une personne à l’autre en fonction de nombreux facteurs environnementaux. Ces espèces incluent des germes comme les bactéries, les champignons et plus encore.

Les bactéries dans la bouche ne sont pas nécessairement nuisibles tant qu’elles sont en parfait équilibre. Certaines sont en effet utiles, alors que d’autres peuvent causer des problèmes comme les caries dentaires, les maladies des gencives (gingivite et parodontite), certains cancers (pancréas et côlon) et même possiblement la maladie d’Alzheimer ou l’arthrite selon des études récentes. Bien comprendre cet écosystème est donc essentiel pour améliorer notre hygiène bucco-dentaire, mais aussi notre santé en général.

À ce titre, une étude publiée dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et portant sur Corynebacterium matruchotii, l’une des bactéries les plus courantes vivant dans la plaque dentaire, représente une avancée certaine en dévoilant des détails passionnants sur son mode de multiplication unique.

Des bactéries qui se multiplient (très) rapidement

Presque toutes les bactéries dans notre bouche se développent en se divisant en deux. Une cellule mère donne alors naissance à deux cellules filles. Cependant, de nouvelles recherches menées par le Marine Biological Laboratory de l’Université de Chicago et l’ADA Forsyth ont découvert un mécanisme extraordinaire de division cellulaire chez Corynebacterium matruchotii, étudiée en détail suite à des recherches antérieures qui avaient permis aux chercheurs d’imager l’organisation spatiale de la plaque dentaire saine et de découvrir une structure unique en forme de hérisson chez cette bactérie.

Pour ces recherches, l’équipe a utilisé la microscopie en time-lapse. Cela lui a permis d’observer que les cellules de la plaque bactérienne se divisaient en jusqu’à quatorze cellules à la fois en fonction de la longueur de la cellule mère d’origine. Ce processus rare appelé fission multiple aide donc à expliquer comment C. matruchotii peut se développer si rapidement au sein de la plaque dentaire. L’étude a également révélé que les bactéries filamenteuses peuvent croître jusqu’à un demi-millimètre par jour. Ainsi, même les brosseurs de dents les plus méticuleux auront du mal à éliminer complètement ces bactéries qui réapparaissent inlassablement.

Étant donné que ces bactéries n’ont pas de flagelles, qui permettent habituellement aux bactéries de se déplacer, les chercheurs émettent l’hypothèse que cette « élongation et division cellulaire uniques » pourraient être leur manière d’explorer leur environnement et trouver de quoi se nourrir, presque comme un réseau mycélien chez les champignons. « Qui aurait pensé que nos bouches abriteraient un microbe dont la stratégie de reproduction est pratiquement unique dans le monde bactérien. […] Cette découverte éclaire la manière dont ces bactéries prolifèrent, rivalisent pour les ressources avec d’autres bactéries et maintiennent leur intégrité structurelle au sein de l’environnement complexe de la plaque dentaire », s’étonne Gary Borisy, ancien directeur du Marine Biology Lab et co-auteur de l’étude.

La notion de biofilms

Dans votre bouche, les différentes espèces de bactéries vivent dans des biofilms. Il s’agit de communautés de micro-organismes qui adhèrent les uns aux autres et à une surface externe. « Ces biofilms sont comme des forêts tropicales microscopiques », estime le Dr Scott Chimileski, l’auteur principal de l’étude. « Les bactéries dans ces biofilms interagissent à mesure qu’elles croissent et se divisent. Nous pensons que le cycle cellulaire inhabituel de C. matruchotii permet à cette espèce de former ces réseaux très denses au cœur du biofilm. »

Or, l’étude de ces biofilms est essentielle. « Pour comprendre comment tous les différents types de bactéries travaillent ensemble dans le biofilm de la plaque, nous devons comprendre la biologie de base de ces bactéries qui ne vivent nulle part ailleurs que dans la bouche humaine », a déclaré Mark Welch, l’un des co-auteurs de ces travaux.

Colonie de bactéries buccales Corynebacterium matruchotii
Une colonie de bactéries buccales Corynebacterium matruchotii. Crédits : Scott Chimileski et coll./Marine Biological Laboratory/PNAS, 2024.

Des recherches qui soulèvent de nouvelles questions

Ces bactéries ne vivent nulle part ailleurs dans la bouche humaine, bien que d’autres espèces de C. matruchotii vivent également sur la peau et dans le nez. Cependant, elles ne présentent pas de fission multiple ni d’extension de l’extrémité, ce qui pourrait suggérer une nécessité derrière cette fonction. « Quelque chose dans cet habitat très dense et compétitif de la plaque dentaire pourrait avoir poussé l’évolution de cette manière de croître », pense le Dr Chimileski.

Dans leurs recherches, les chercheurs rappellent à ce titre que les cellules ne se développaient qu’à partir d’un seul pôle de la cellule mère, ce que l’on appelle l’extension de l’extrémité. Les protéines structurales de ces cellules (ou filaments) agissent ensuite comme une fondation pour que d’autres bactéries puissent y vivre. « Les récifs ont du corail, les forêts ont des arbres, et la plaque dentaire dans nos bouches a des Corynebacterium. Les cellules de Corynebacterium dans la plaque dentaire sont comme un grand arbre touffu dans la forêt ; elles créent une structure spatiale qui fournit l’habitat pour de nombreuses autres espèces de bactéries autour d’elles », explique Jessica Mark Welch, co-autrice de ces travaux.

Finalement, ce mode de reproduction intrigant laisse penser que ces bactéries jouent un rôle de pilier dans l’équilibre buccal et ces recherches ne sont qu’un début pour en comprendre toutes les implications. « Le prochain défi est de comprendre la signification de cette stratégie pour la santé de nos bouches et de nos corps », conclut le Dr Chimileski.

Consultez l’étude ici.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.