La nouvelle vient juste de tomber : la station perchée au sommet du Mauna Loa (Hawaï) vient de relever un taux de CO2 dans l’atmosphère au-dessus des 426 ppm (parties par million), soit 4,7 ppm au-dessus du grand record du mois de mars 2023. Et si les scientifiques rivalisent d’ingéniosité pour trouver des moyens de réduire les gaz à effet de serre (stockage et captage, etc.), beaucoup d’études s’accordent à dire que la situation empire et que ces taux augmentent à une vitesse vertigineuse.
Toutefois, du fait d’une faible connaissance des taux historiques, les chercheurs peinent à mettre en perspective les relevés actuels, notamment pour les remettre dans un contexte à plus grande échelle. Or, cela pourrait apporter une vision plus concrète de la trajectoire suivie actuellement et permettre de différencier clairement les augmentations de CO2 naturelles (c’est-à-dire sans intervention de l’homme et opérées par des processus tels que les éruptions volcaniques, la respiration des organismes ou encore la décomposition de la matière organique) et les émissions purement d’origine anthropique liées à des activités humaines telles que la combustion des combustibles fossiles et la déforestation qui accélèrent cette augmentation depuis la révolution industrielle.
De la glace pour mieux comprendre l’augmentation des taux de CO2
Pour répondre au mieux à cette problématique, des chercheurs de l’Université de l’Oregon, assistés par des scientifiques de l’Université de St Andrews et la Fondation américaine pour la science, ont pu compter sur l’étude d’une glace vieille de 50 000 ans obtenue sur l’inlandsis Ouest-Antarctique, une calotte glaciaire figée par le temps sous la surface terrestre et extraite en forant à 3,2 km de profondeur.
Grâce à ces prélèvements, l’équipe a pu réaliser l’analyse chimique de petites bulles de gaz préservées au sein même de la glace. Cela lui a ainsi permis de mettre au jour les changements atmosphériques et la composition en CO2 à travers ces dizaines de milliers d’années. Et d’après leurs conclusions, publiées le 13 mai 2024 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, ces analyses poussées montrent que s’il y a eu par le passé des taux élevés de CO2, c’est sans commune mesure avec les taux actuels liés aux émissions d’origine humaine. La situation est telle que le taux d’augmentation est même dix fois plus rapide qu’en comparaison de tout autre moment de l’histoire ces dernières 50 000 années.
Une augmentation sans précédent
Plus précisément, les chercheurs estiment que les fluctuations dans les taux de dioxyde de carbone sur 50 000 ans montrent bel et bien une augmentation d’environ 14 ppm (parties par million) sur 55 ans tous les 7 000 ans environ. Ces pics coïncident avec ce que l’on appelle les événements de Heinrich, des périodes durant lesquelles de grandes quantités d’icebergs se détachent des calottes glaciaires et dérivent dans l’Atlantique Nord, libérant alors des sédiments et perturbant profondément et soudainement le climat, le tout se produisant approximativement tous les 7 000 à 10 000 ans. Toutefois, actuellement, on observe cette même hausse… en seulement cinq ou six ans.
« L’étude du passé nous apprend à quel point aujourd’hui est différent. Le changement dans le taux de CO2 actuel est vraiment sans précédent », s’inquiète Kathleen Wendt, auteure principale de l’étude et professeure adjointe à l’Université d’État de l’Oregon. « Nos recherches ont identifié les taux d’augmentation naturelle du CO2 les plus rapides jamais observés. »
Un lien direct entre le CO2, l’océan austral et les vents d’ouest
Comme l’explique Christo Buizert, coauteur de l’étude et également professeur à l’Université de l’Oregon : « ces événements de Heinrich sont vraiment remarquables. Nous pensons qu’ils sont provoqués par un détachement de calotte glaciaire nord-américaine spectaculaire. Cela met en mouvement une réaction en chaîne qui implique des changements dans les moussons tropicales, les vents d’ouest dans l’hémisphère sud et ces émissions énormes de CO2 en provenance des océans. »
Les recherches suggèrent que pendant les périodes où le dioxyde de carbone augmentait dans l’atmosphère, les vents d’ouest (dits aussi contre-alizés ou vents d’ouest dominants qui soufflent principalement d’ouest en est et qui jouent un rôle important dans la circulation des grands fonds océaniques) se renforçaient également, provoquant au passage un relâchement rapide de CO2 par l’océan austral. D’autres travaux estiment en outre qu’avec le changement climatique, les vents d’ouest risquent de toujours plus s’intensifier au cours du siècle à venir. Aussi, la présente étude suggère que si cela venait à se produire, cela réduirait fortement la capacité de l’océan austral à absorber le dioxyde de carbone lié aux activités humaines.