De nouvelles mesures de terrain indiquent que les périodes chaudes du passé récent du Groenland ont été plus marquées que ce qui était envisagé jusqu’à présent. Cette découverte apporte une pièce supplémentaire au gigantesque puzzle de la paléoclimatologie, et fournit également des indications sur l’évolution possible de la calotte en réponse au réchauffement climatique actuel.
La paléoclimatologie est une science pleine de rebondissements. En analysant une carotte de sédiments anciens situés sur le bord nord-ouest de la calotte du Groenland, les chercheurs de l’Université Northwestern dans l’Illinois (États-Unis) ont pu mettre en évidence que le début de l’Holocène (entre – 8000 et -11 000 ans) et la période interglaciaire précédente (entre -116 000 et -130 000 ans) avaient été marquées par un réchauffement intense sur la partie nord de l’inlandsis.
L’analyse de la carotte de sédiments lacustres a permis de remonter plus de 120 000 ans dans le passé, fournissant un enregistrement de l’avant-dernière période interglaciaire. Les scientifiques savent depuis longtemps que durant ces épisodes chauds, la configuration astronomique conduit à une augmentation de l’ensoleillement aux hautes latitudes nord, et donc à un réchauffement particulièrement marqué autour de l’Arctique. Toutefois, les fossiles des différentes espèces de mouches emprisonnées dans les sédiments prélevés indiquent que ce réchauffement a dû être plus important que ce que l’on pensait jusqu’alors.
Les données que l’on peut tirer sur les périodes chaudes passées sont d’une importance majeure, puisqu’elles permettent de fournir des indications sur l’intensité de la réponse de l’inlandsis groenlandais au réchauffement futur. Les projections concernant la perte de masse de la calotte ces prochaines décennies et ces prochains siècles sont en effet très incertaines, en partie car sa sensibilité au réchauffement n’est pas clairement établie. Malheureusement, contrairement aux carottes de glace, les carottes sédimentaires remontant suffisamment loin sont très peu nombreuses en raison des modifications géologiques et glaciaires qui se mettent en place entre les périodes chaudes et les périodes froides. La glace s’écoule sur les côtes en période glaciaire, raclant les sédiments accumulés durant l’interglaciaire précédent et les évacuants ensuite vers l’océan. Les archives naturelles ont donc tendance à ne pas être préservées. Ainsi, trouver des sédiments plus âgés que 10 000 ans au Groenland a été très difficile. Le prélèvement réalisé par l’équipe de chercheurs dans un endroit très particulier où ce phénomène ne se produit pas ou peu vient surmonter cette difficulté.
Si aujourd’hui, le nord-ouest du Groenland connaît une température moyenne située autour de 0 °C à 5 °C en plein été, au début de l’Holocène – et surtout de l’avant-dernière période interglaciaire – elle pouvait atteindre les 10 °C, voire s’approcher des 15 °C. La température en juillet était ainsi plus élevée de 4 à 8,5 °C que l’actuelle. Le niveau de la mer au cours de l’avant-dernier épisode chaud, il y a environ 120 000 ans, avait alors grimpé de plusieurs mètres (de 4 à 9) en lien avec l’amincissement de la calotte groenlandaise, mais aussi celle de l’Antarctique dans une moindre mesure. La réponse du Groenland au changement climatique pourrait ainsi être plus importante qu’attendue.
Outre le fait d’augmenter nos connaissances sur les climats passés, ces données permettront aussi d’améliorer et de valider les modèles climatiques afin de mieux cerner les changements environnementaux qui nous attendent dans le futur. Ceci en gardant toutefois à l’esprit que la perturbation en cours n’est pas comparable à celle associée à un changement de l’orbite terrestre, et que le système climatique n’y répondra probablement pas de la même façon. L’étude a été publiée dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) le 4 juin dernier.