Une nouvelle étude soutenue par la NASA indique que la libération de gaz à effet de serre due au dégel du pergélisol pourrait s’accélérer beaucoup plus rapidement que prévu. En effet, et pour l’heure, les modèles climatiques ne prennent pas en compte les événements de dégel abrupt observés sous les lacs dits thermokarstiques. Selon les résultats, même dans le cas d’un réchauffement global modéré, une importante amplification des rejets de méthane est probable au cours de ce siècle. Cette évolution accélérerait d’autant plus le réchauffement initial.
Le pergélisol – permafrost en anglais – désigne la partie d’un sol qui reste gelée toute l’année. Il couvre environ 25 % des terres de l’hémisphère nord, et peut atteindre jusqu’à 80 mètres de profondeur dans certaines régions proches de l’Arctique. En outre, le pergélisol de l’hémisphère nord représente le plus grand réservoir continental de carbone organique sur Terre, cumulant entre 1330 et 1580 pétagrammes de carbone (1 Pg = 1 000 000 000 tonnes). Compte tenu du fait que ce réservoir est gelé, il présente une grande stabilité. Toutefois, sous l’effet du réchauffement progressif du climat, on s’attend – et on observe déjà – à ce que celui-ci soit de plus en plus vulnérable à la décomposition microbienne qui libère le carbone dans l’atmosphère sous forme de CO2 ou de méthane – CH4 -, deux gaz à effet de serre. La différence entre les deux modes de dégazage est à relier au type de décomposition. Lorsqu’elle se fait dans un environnement anaérobie, c’est- à-dire sans présence de dioxygène, elle produit du méthane. Cette réaction des sols gelés de la planète constitue par conséquent une rétroaction amplificatrice pour le réchauffement climatique, qui reste encore mal évaluée à l’heure actuelle.
Une nouvelle étude faisant partie d’un projet financé par la NASA vient préciser les processus à l’œuvre dans cette évolution. Les résultats indiquent que la perspective actuelle d’un dégel plutôt progressif des sols peut être fortement aggravée par des phénomènes de dégels abrupts assez mal connus et liés à ce que l’on appelle des lacs thermokarstiques. Ces derniers se forment suite à l’affaissement du sol consécutif à la fonte du pergélisol. La dépression topographique qui en résulte se remplit ensuite d’eau apportée par la pluie, la fonte de la neige ou celle de la glace. L’eau accumulée conduit finalement à une fusion du sol accélérée et surtout bien plus profonde.
De ce fait, au lieu d’une fonte limitée aux quelques centimètres superficiels, celle-ci peut aller jusqu’à 15 mètres de profondeur au bout de quelques décennies. Ce dégel profond et irréversible à l’échelle du siècle s’accompagne d’un dégazage de carbone plus intense, en grande partie du méthane s’échappant des lacs sous forme de bulles. Actuellement, cette mécanique n’est pas prise en compte dans les modélisations climatiques. Sur la base de simulations numériques et de mesures de terrain, les chercheurs ont estimé que le fait d’inclure ces processus faisait plus que doubler les estimations précédentes concernant le réchauffement additionnel associé à la fonte du pergélisol. Même dans le cas d’un réchauffement climatique modéré, ils ont conclu qu’un dégazage massif de méthane était possible.
Le carbone associé aux gaz à effet de serre libérés a entre 2000 et 43 000 ans, selon les mesures faites par les scientifiques sur des lacs thermokarstiques en Alaska et en Sibérie. « Bien que l’évolution de ces lacs ait été étudiée dans de nombreuses régions, l’idée que les pertes et les gains de carbone qui leur sont associés soient très différents est nouvelle », a déclaré le co-auteur Guido Grosse. « En quelques décennies, la croissance des lacs thermokarstiques libère nettement plus de carbone que ce qui est capturé lorsque ces lacs régressent – lorsque le bas du lac recongèle ». Selon Katey Walter Anthony, auteure principale de l’étude : « Les mécanismes de dégel abrupt et de formation de lacs thermokarstiques comptent beaucoup pour la rétroaction climat-carbone associée à la fonte du pergélisol au cours de ce siècle. Nous n’avons pas besoin d’attendre 200 ou 300 ans pour obtenir ces importants rejets de carbone. Au cours de ma vie et celle de mes enfants, ceux-ci devraient s’accentuer. Cela se produit déjà actuellement, mais pas de façon très rapide, toutefois ce processus devrait connaître un pic d’ici quelques décennies ».
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