L’Australie est réputée pour sa faune dangereuse, en particulier ses serpents et ses araignées. Pendant des années, l’araignée à toile-entonnoir de Sydney, l’espèce la plus redoutée et célèbre du pays, a été crainte comme une menace unique. Néanmoins, une équipe internationale de scientifiques a récemment fait une découverte surprenante sur celle qui est officiellement l’araignée la plus venimeuse au monde : il ne s’agit pas d’une seule espèce, mais bien de trois. Parmi elles, une araignée se distingue non seulement par sa taille impressionnante, mais aussi par sa morsure venimeuse inégalée. Voici ce qu’il faut savoir sur Atrax christenseni, surnommée Big Boy.
Une menace venimeuse que la science croyait bien connaître
Décrite pour la première fois par le pasteur et arachnologiste anglais Octavius Pickard-Cambridge en 1877, l’araignée à toile-entonnoir de Sydney est responsable de treize décès recensés. Bien qu’elle soit globalement considérée comme l’araignée la plus venimeuse au monde, son venin est plus puissant chez les mâles qui sont également plus agressifs et ont tendance à errer au grand jour après la pluie. Ils ont aussi tendance à s’accrocher et à mordre plusieurs fois lorsqu’ils font face à une menace.
Pour fabriquer un antidote, les chercheurs du parc reptilien australien prélèvent soigneusement leur venin. Cependant, leur programme a reçu un spécimen découvert près de Newcastle, une ville située à 150 kilomètres au nord de Sydney, début 2024. Or, lorsqu’il a été mesuré, cet individu atteignait 7,9 centimètres d’envergure de l’extrémité d’une patte à l’autre. Baptisé Hercules, il est devenu le plus grand spécimen jamais enregistré aux côtés de Colossus, le précédent spécimen le plus grand collecté en 2018. Cela a alors soulevé des questions parmi les scientifiques sur les raisons derrière les grandes variations de taille et de toxicité observées chez ces araignées.
Ainsi, près de 150 ans après l’étude initiale de l’espèce, il était temps de mener une nouvelle enquête. Cette recherche a été publiée le 13 janvier 2025 dans la revue BMC Ecology and Evolution par des scientifiques de l’Institut Leibniz pour l’analyse du changement de la biodiversité (LIB) en Allemagne, du Musée australien (AM) de Sydney et de l’Université Flinders à Adélaïde (Australie).

Non pas une araignée, mais bien trois espèces
« Lorsque notre équipe internationale de chercheurs a rouvert le dossier de l’araignée à toile-entonnoir de Sydney, nous avons examiné en détail la morphologie fine et les séquences génétiques dans toute la région », résume la Dre Helen Smith, biologiste spécialiste des araignées au Musée australien. L’équipe a combiné des analyses anatomiques et génétiques, et comparé des spécimens récemment collectés à d’autres datant du début des années 1900. Les résultats furent fascinants : longtemps considérée comme une seule espèce (Atrax robustus), cette araignée était en réalité divisée en trois espèces.
À l’araignée Atrax robustus classique présente dans le bassin de Sydney et sur la côte centrale, mais avec une répartition bien plus limitée autour de Sydney qu’on ne le pensait auparavant, il faut donc à présent ajouter Atrax montanus, redécouverte après avoir sombré dans l’oubli, qui habite les Montagnes Bleues, au sud et à l’ouest de Sydney, mais également Atrax christenseni, surnommée Big Boy, car il s’agit non seulement de la plus grande, mais aussi de la plus venimeuse des trois.
Ces clades distincts correspondaient aux répartitions géographiques et aux différences physiques observées. « Notre recherche a révélé une diversité cachée parmi les araignées à toile-entonnoir », a noté la Dre Stephanie Loria, coautrice de l’étude et affiliée à l’Institut Leibniz pour l’analyse du changement de la biodiversité (LIB). « Aucune de ces découvertes n’aurait été possible sans l’utilisation de collections historiques et une collaboration internationale. »
Un Big Boy au venin puissant
Atrax christenseni doit son nom à Kane Christensen, le passionné d’araignées de la côte centrale qui a attiré l’attention des chercheurs sur les spécimens de Newcastle. « La taille impressionnante des mâles, comparée à celle des mâles des autres espèces d’Atrax, est tout simplement stupéfiante », estime Christensen. « Je suis profondément honoré et l’accepte avec grand plaisir. »
Bien que sa taille soit légèrement plus grande que celle des autres araignées à toile-entonnoir, elle reste modeste comparée à la plus grande araignée du monde, la mygale Goliath mangeuse d’oiseaux (Theraphosa blondi) qui peut atteindre 28 centimètres. Son venin est néanmoins plus puissant que celui de ses cousines de Sydney et du sud, ce qui fait de cette araignée la plus venimeuse du monde.
La recherche suggère par ailleurs que la lignée Atrax a commencé à se diversifier il y a environ 30 millions d’années, durant l’Oligocène. Cette période coïncide avec des changements climatiques et géographiques en Australie, qui auraient probablement façonné les habitats où ces araignées se sont développées. Les scientifiques estiment également que les espèces ont divergé entre elles durant le Miocène tardif, entre 13 et 2 millions d’années.

Des conséquences certaines pour fabriquer l’antivenin le plus efficace possible pour contrer cette araignée
Le venin de l’araignée à toile-entonnoir contient des neurotoxines puissantes, en particulier les delta-atracotoxines qui perturbent les canaux ioniques sodiques chez les primates. Il est souvent comparé à celui d’autres créatures mortelles comme la méduse-boîte et le taïpan du désert, bien que les mécanismes d’action et les symptômes diffèrent.
La morsure initiale est alors extrêmement douloureuse et les symptômes apparaissent rapidement (en moins d’une heure). La D-atracotoxine provoque des difficultés respiratoires, des fluctuations extrêmes de la pression artérielle, des spasmes musculaires, des vomissements et des nausées. D’autres symptômes incluent des larmoiements incontrôlables, une sudation excessive, une salivation et, dans les cas graves, la mort. Heureusement, depuis l’introduction du premier antivenin contre cette araignée en 1981, plus aucun décès n’a été recensé.
Le programme de prélèvement de venin du parc reptilien australien contribue à produire des doses de ce sérum vital. Pour ce faire, il héberge plus de 2 000 araignées régulièrement « traites » pour leur venin. La production d’un seul flacon d’antivenin nécessite le venin d’environ 150 araignées, chaque sac d’œufs pouvant contenir entre 50 et 150 jeunes araignées. Cependant, pour maintenir ces chiffres, le programme dépend des dons du public. Surtout, à la lumière de ces découvertes, les chercheurs affirment qu’il faudra perfectionner l’antivenin pour lui permettre de rester efficace contre les trois espèces. Les chercheurs émettent en effet l’hypothèse que des différences dans la présence, la quantité ou la structure des delta-atracotoxines pourraient exister entre les espèces. De futures recherches plus approfondies devront donc sonder ces différences.
Vous pouvez consulter l’étude ici.