Un arrêt de la circulation thermohaline de l’Atlantique Nord, improprement qualifié d’arrêt du Gulf Stream, pourrait se produire si le réchauffement climatique venait à atteindre un certain seuil, à moins que l’Antarctique n’en décide autrement. C’est ce que rapporte une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université d’Utrecht (Pays-bas). Les résultats ont été publiés dans la revue Geophysical Research Letters.
Au-delà d’un certain niveau de réchauffement, certains éléments du système climatique risquent de franchir un point de bascule, c’est-à-dire un seuil à partir duquel les changements s’accéléreront de manière brutale et irréversible aux échelles de temps qui nous concernent. Un exemple bien connu est l’arrêt de la circulation thermohaline de l’Atlantique Nord (AMOC en anglais), la partie des courants marins pilotée par les contrastes de température et de salinité.
Et pour cause, l’afflux d’eau douce provenant de la fonte des glaces du Groenland et de l’Arctique menace de couper la plongée des eaux froides et salées dans les mers nordiques et du Labrador, et donc le moteur de la circulation océanique profonde. Le prolongement nordique du Gulf Stream, la dérive nord-atlantique qui adoucit les hivers en Europe du Nord, en serait particulièrement affecté.
Les nombreux travaux sur les points de bascules suggèrent également que le franchissement d’un seuil dans l’une des composantes du système climatique peut provoquer le basculement d’une ou plusieurs autres composantes. Par exemple, le passage de l’Amazonie d’une configuration de forêt tropicale à celle de savane déstabiliserait fortement la calotte glaciaire ouest-antarctique.
Interaction entre Gulf Stream et calottes polaires : au-delà de l’effet domino
Toutefois, l’inverse est également possible. Selon les travaux menés par la professeure Sacha Sinet et son équipe, le basculement d’un élément du système climatique peut en stabiliser un ou plusieurs autres. À cet égard, les chercheurs montrent comment la désintégration accélérée de la calotte ouest-antarctique par le réchauffement planétaire conduirait à stabiliser la circulation thermohaline de l’Atlantique Nord.
En utilisant un modèle conceptuel, les scientifiques ont ainsi découvert que l’AMOC était en mesure de persister malgré un apport majeur d’eau douce par le Groenland. Cette découverte pour le moins inattendue s’explique par l’apport concomitant d’eau douce dans l’Atlantique Sud associé à la fonte rapide de la calotte ouest-antarctique. Par cette redistribution des contrastes thermiques et salins, la stabilité de la circulation océanique profonde est préservée.
De fait, en lieu et place de l’image simpliste et dramatique d’un effet domino, on constate un tableau plus nuancé fait de boucles déstabilisatrices et stabilisatrices. Par conséquent, l’analyse d’un élément à risque de bascule devrait idéalement se faire en prenant en compte tous les autres.
Si ces résultats tempèrent les discours appuyant le risque de bascules en cascade, il ne faut toutefois pas s’y méprendre. « N’oublions pas que, de toute façon, la perte de tels éléments climatiques serait une catastrophe », rappelle Sacha Sinet. « Nous perdrions toujours le Groenland et l’Antarctique occidental et nous nous engagerions dans une augmentation drastique du niveau de la mer. Il y aurait des conséquences dramatiques pour nos sociétés et nos écosystèmes ». Mieux vaut donc ne pas tenter l’expérience.