Une équipe de chercheurs annonce avoir isolé et séquencé des molécules d’ARN vieilles de plus d’un siècle provenant d’un spécimen de tigre de Tasmanie conservé dans une collection de musée. Il s’agit d’une première chez un animal disparu. Que pourrait nous apprendre cette nouvelle percée ? Les détails de ces travaux sont publiés dans la revue Genome Research.
Une triste fin
Le tigre de Tasmanie, ou thylacine, est un marsupial carnivore qui occupait autrefois une grande partie du continent australien, y compris la Tasmanie. Reconnaissable par son apparence unique ressemblant à un chien avec des rayures sur le dos, le thylacine n’a pas supporté la présence humaine. Cet animal était en effet déjà en déclin avant l’arrivée des colons européens, en grande partie en raison de la perte de son habitat naturel due à l’expansion humaine et à la compétition avec d’autres espèces introduites.
Sa disparition définitive avait ensuite été précipitée après la colonisation européenne. Considérant ces marsupiaux comme une menace pour l’agriculture, en particulier pour les troupeaux de moutons, les autorités avaient en effet instauré une prime de 1 £ dès 1888 pour chaque animal adulte tué, encourageant ainsi une chasse intensive et non réglementée. Cette campagne, associée à la perte continue de son habitat, a finalement réduit la population de tigres de Tasmanie à des niveaux critiques.
Le dernier d’entre eux serait mort en captivité le 7 septembre 1936, au Zoo de Beaumaris à Hobart, en Tasmanie.
Depuis sa disparition, le tigre de Tasmanie continue néanmoins de fasciner, au point que certains pensent en avoir aperçu récemment dans la nature. Sa triste histoire nous rappelle également l’importance de la conservation de la faune et de la protection des espèces en danger face aux changements environnementaux et aux activités humaines, ce qui nous ramène à ces récents travaux concernant l’ARN.

Qu’est-ce que l’ARN ?
L’ARN est une molécule qui transporte des informations génétiques, tout comme l’ADN (acide désoxyribonucléique). Il existe toutefois quelques différences clés entre ces deux molécules.
D’une part, contrairement à l’ADN, qui dispose d’une structure à double brin (deux brins enroulés en une double hélice), l’ARN n’a qu’une structure à simple brin. Autrement dit, cette molécule est constituée d’un seul brin de nucléotides.
En outre, alors que l’ADN est composé de quatre bases nucléotidiques (adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C) et la guanine (G)), l’ARN est composé des mêmes à l’exception de la thymine qui est remplacé par l’uracile (U).
Enfin, bien que ces deux molécules soient toutes deux impliquées dans le stockage et la transmission de l’information génétique, elles ont des fonctions distinctes dans la cellule. D’un côté, l’ADN est le support principal de l’information génétique, tandis que l’ARN joue notamment un rôle essentiel dans la transcription de l’ADN en protéines (ARN messager), la régulation génique et le transport de l’information génétique.
Cela étant dit, nous savons que l’ARN peut être plus susceptible de se dégrader avec le temps par rapport à l’ADN, en particulier dans des conditions environnementales défavorables. Comprendre cette molécule est pourtant nécessaire pour en savoir plus sur la biologie d’un animal éteint. Comme le souligne milio Mármol Sánchez, du Musée suédois d’histoire naturelle et principal auteur de ces travaux, l’ARN « vous donne un aperçu de la vraie biologie, de la façon dont la cellule fonctionnait métaboliquement lorsqu’elle était vivante, juste avant sa mort« .
De l’ARN extrait pour la première fois d’un tigre de Tasmanie
Dans le cadre de cette étude, le chercheur et son équipe ont extrait l’ARN d’un tigre de Tasmanie mort il y a environ 130 ans, ce qui n’a pas été une mince affaire. L’un des premiers obstacles était en effet de montrer qu’il s’agissait bien du matériel génétique de l’animal lui-même, et non de molécules issues d’une contamination environnementale.
Grâce à ces séquences d’ARN, qui ont été extraites de la peau et des tissus musculaires, les chercheurs ont pu combler plusieurs lacunes dans l’ADN du tigre de Tasmanie. En effet, l’ARN étant transcrit à partir de l’ADN, il est possible d’extrapoler des séquences d’ADN à partir de l’ARN.
Ici, les chercheurs ont notamment identifié une séquence de microARN jamais décrite auparavant et visiblement unique à cette espèce. Les chercheurs notent également avoir identifié une autre séquence de microARN qui n’avait pas été décrite auparavant. Cependant, celle-ci s’est avérée commune à plusieurs espèces de marsupiaux.
Au total, les chercheurs ont augmenté le nombre de microARN connus chez les tigres de Tasmanie de 62 à 325. Ils ont également discerné des différences entre la peau et les tissus musculaires basées uniquement sur l’ARN. Sans surprise, les échantillons de peau présentaient des niveaux élevés d’ARN associés à la kératine, tandis que les échantillons de muscles présentaient des niveaux élevés d’ARN associés aux protéines des fibres musculaires (actine et myosine).

De nouvelles opportunités
Ces travaux sont importants dans la mesure où ils ouvrent la voie à de nouvelles opportunités d’exploration des vastes collections de tissus conservés dans les musées du monde entier, où d’autres molécules d’ARN pourraient être découvertes et séquencées. L’équipe espère maintenant trouver des échantillons provenant d’autres animaux disparus encore plus anciens, comme les mammouths.
À l’avenir, les chercheurs pensent également que nous pourrions extraire l’ARN des génomes de virus et de leurs précurseurs évolutifs à partir de tissus d’organismes hôtes conservés dans les collections de musées.