La fonte des glaces accélérée par le réchauffement climatique est un sujet lointain et quelque peu abstrait. Pourtant, avec une augmentation de 65 % du taux de fonte en trente ans, ses effets désastreux font déjà planer de nombreuses menaces sur notre planète : augmentation du niveau de la mer et villes risquant d’être submergées, fonte du permafrost qui libère du CO2, du méthane et des bactéries dans l’atmosphère, ressources en eau douce en péril, courants océaniques chamboulés, etc. Et la situation ne fait qu’empirer. L’Arctique, la demeure de l’ours polaire au Pôle Nord, est en effet actuellement touché de plein fouet et pourrait connaître des changements effrayants d’ici la prochaine décennie.
D’un Arctique blanc à un Arctique bleu
En hiver, la banquise arctique étend son emprise à tout l’océan et les mers voisines, puis se rétracte naturellement au printemps. Toutefois, on estime la perte de glace dans cette région à 13 % chaque décennie à cause du réchauffement climatique. À cause de cela, la glace s’étend moins pendant la saison froide et diminue plus rapidement au retour des beaux jours avec une saison de fonte de plus en plus prématurée.
La situation est telle qu’entre 2007 et 2020, on a constaté les niveaux de glace les plus bas en 42 ans d’enregistrement satellite. Avec un réchauffement deux fois plus rapide que le reste du monde dans cette zone, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime qu’elle pourrait même presque disparaître en fin d’été à partir de 2050. Toutefois, une étude parue le 5 mars dans la revue Nature Reviews : Earth & Environment estime que ces prévisions pourraient être en réalité bien en dessous de la réalité.
Une étude aux résultats inquiétants
Dans ces travaux qui affirment que « les pertes de glace observées en Arctique sont des sentinelles du changement climatique anthropogénique [causé ou généré par l’être humain NDLR] », les estimations montrent que le premier jour sans glace à la surface des eaux dans l’Arctique pourrait finalement se produire dix ans plus tôt que prévu par les projections. L’habitat blanc des ours polaires, des phoques et des morses pourrait ainsi tourner au bleu et ne présenter des étés sans glace d’ici la prochaine décennie à cause notamment des émissions liées à la combustion de combustibles fossiles. Lors des mois chauds, les calculs démontrent qu’il restera en effet moins d’un million de kilomètres carrés glacés, laissant alors principalement de l’eau fondue s’étendre à perte de vue.
Nos émissions pourraient façonner le visage de l’Arctique de demain
Alexandra Jahn (professeure agrégée de sciences atmosphériques et océaniques à l’Institut de recherche arctique et alpine de l’Université de Boulder-Colorado), Marika M. Holland (scientifique renommée du National Center for Atmospheric Research) et Jennifer E. Kay (professeure agrégée de l’Université de Boulder-Colorado), les trois autrices de ces recherches, on peut s’attendre à observer des mois de septembre sans glace d’ici 2035 à 2067.
Néanmoins, d’après les chercheuses, cela dépendra surtout des émissions de gaz à effet de serre. Si l’on suit un scénario avec des émissions réduites, l’Arctique pourrait n’être libre de glace qu’à la fin de l’été et au début de l’automne, d’août à octobre. Si les émissions de gaz restent élevées, on pourrait néanmoins alors avoir jusqu’à neuf mois sans glace d’ici la fin du siècle. « Cela transformerait l’Arctique en un environnement complètement différent, passant d’un Arctique blanc en été à un Arctique bleu », alerte Alexandra Jahn. « Même si la disparition de la glace est inévitable, nous devons maintenir nos émissions à un niveau aussi bas que possible, afin d’éviter une absence de glace prolongée ».
Étés sans glace : l’étude reste optimiste
Comme l’explique Alexandra Jahn : « Contrairement à la calotte glaciaire du Groenland qui a mis des milliers d’années à se former, même si nous faisions fondre toute la glace de mer de l’Arctique, si nous parvenons à trouver un moyen de retirer le CO2 de l’atmosphère à l’avenir pour inverser le réchauffement, la glace de mer reviendra en l’espace d’une dizaine d’années ».
Il faut toutefois agir vite, car la faune sauvage arctique dépendante de ces étendues glacées n’est pas la seule qui puisse souffrir de la fonte des glaces. En tant que modérateur de climat, l’Arctique favorise en effet la bonne circulation des courants océaniques et aide à déplacer les eaux chaudes et froides autour du globe. Or, perturber ces courants marins pourrait avoir un effet sur la répartition de la chaleur entre les pôles et l’équateur, et donc sur la régulation des climats à l’échelle planétaire. Cela pourrait notamment favoriser les évènements climatiques extrêmes.
Par ailleurs, la disparition de la neige et de la glace s’inscrit dans une boucle de rétroaction climatique. En effet, la glace est blanche et réfléchissante, empêchant ainsi l’absorption d’une partie de la lumière solaire incidente. La perte de glace va donc exacerber le réchauffement du climat et, comme dans un cercle vicieux, la fonte des glaces également. De nouvelles espèces envahissantes pourraient aussi profiter des eaux qui se réchauffent pour investir l’océan Arctique avec des conséquences imprévisibles sur les écosystèmes locaux déjà fragilisés.
Enfin, le recul des glaces pourrait aussi impacter les habitants proches de la région arctique, car elles amortissent l’impact des vagues sur le littoral. Sans cette glace de mer, des vagues plus nombreuses et plus hautes pourraient frapper les terres et accélérer l’érosion des côtes.