Arctique Canadien : les températures estivales du dernier siècle seraient les plus chaudes depuis 115 000 ans !

île de Baffin dans l'arctique canadien
Crédits : Flickr

De nouvelles données observationnelles en provenance de l’île de Baffin appuient le caractère inhabituel du réchauffement de l’Arctique et du recul des glaciers qui s’y trouvent. Elles permettent de replacer l’évolution récente dans une perspective multi-millénaire. Il apparaît ainsi qu’il faut remonter au dernier interglaciaire pour trouver des conditions climatiques estivales comparables à celles régnant actuellement dans la région. Cela renvoie environ 115 000 ans dans le passé. 

Dans le contexte du réchauffement climatique, l’Arctique fait office du canari dans la mine de charbon. Cette région est en effet très sensible aux forçages – naturels ou anthropiques – qui s’exercent sur le système. Ainsi, c’est généralement à proximité du pôle Nord que les modifications environnementales sont les plus précoces et/ou les plus prononcées. Par exemple, sur les dernières décennies, le réchauffement observé aux hautes latitudes de l’hémisphère nord est 2 à 3 fois plus important que la moyenne planétaire.

Le recul des glaciers dans la zone est également rapide par rapport à la moyenne globale. En particulier dans l’est de l’Arctique Canadien. Ici, les variations de leur bilan de masse sont majoritairement contrôlées par la température estivale (à plus de 90 %). Cette propriété a permis à des chercheurs de l’Université du Colorado à Boulder (États-Unis) de replacer le réchauffement récent de la région dans une perspective multi-millénaire. L’étude a été publiée dans la revue Nature Communications le 25 janvier dernier.

Plus de 40 000 ans sous la glace

Pour ce faire, les scientifiques ont analysé les roches et la matière végétale ancienne récemment mises à jour par le recul des fronts glaciaires sur une partie de l’île de Baffin. Il s’agit de la cinquième plus grande île du monde.

30 points d’échantillonnage ont été établis pour ce projet (voir l’image ci-dessous). Ils couvrent diverses altitudes et sont caractérisés par différentes expositions. La datation au carbone 14 a montré que les sites étudiés n’ont pas été libérés des glaces depuis plus de 40 000 ans. Cela inclut le maximum thermique de l’holocène – il y a environ 8000 ans -, pourtant marqué par une insolation estivale jusqu’à 9 % plus importante qu’actuellement !

île de Baffin dans l'arctique canadien.
Carte de l’est de l’île de Baffin indiquant les zones où les prélèvements de matière végétale (cercles numérotés), de roches (carré a), ou les deux (carrés numérotés) ont été effectués. Crédits : L. Pendleton & al. 2019.

« Contrairement à la biologie, qui a passé trois milliards d’années à développer des comportements pour éviter les impacts des changements climatiques, les glaciers n’ont aucune stratégie d’adaptation », explique Gifford Miller, co-auteur de l’étude. « [Ces derniers] réagissent directement à la température estivale. Si les étés sont chauds, ils se retirent immédiatement. Si les étés sont froids, ils avancent. Cela en fait l’un des indicateurs les plus fiables des changements de la température estivale ».

Un retour aux conditions du précédent interglaciaire ?

On l’a vu, il existe une forte dépendance des avancées et reculs glaciaires aux conditions thermiques d’été. Par conséquent, il est possible de comparer les résultats exposés précédemment aux reconstructions de température de la région. Les conclusions qui en découlent sont encore plus surprenantes.

« Considérés dans le contexte des reconstructions de température des carottes de glace du Groenland, nos résultats suggèrent que la douceur estivale sur le dernier siècle dépasse maintenant chaque siècle depuis 115 000 ans environ », lit-on dans l’abstract du papier. On peut en déduire que les paysages récemment libérés des glaces le sont probablement pour la première fois depuis 115 000 ans. « Nous n’avons encore rien vu d’aussi prononcé », s’étonne Simon L. Pendleton, auteur principal.

Cela nous renvoie au précédent interglaciaire. Pourtant, l’insolation actuelle dans l’Arctique est relativement faible en comparaison. Ce paradoxe apparent disparaît une fois l’augmentation des gaz à effet de serre prise en compte. Des travaux analogues mais étendus à d’autres secteurs du pôle Nord devront maintenant être effectués. Concluons en signalant que même si le réchauffement estival était limité aux valeurs actuelles, l’île de Baffin se retrouverait probablement dépourvue de glace d’ici quelques siècles. C’est en tout cas ce qu’avancent les chercheurs. Un décor qui est donc – a priori – déjà condamné.

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