Poulaine Moyen-âge Hallux valgus
Une poulaine datant 15e siècle (musée de Francfort)

Des archéologues pointent du doigt les chaussures dans l’apparition d’oignon au pied

Pour être à la mode, il faut savoir faire des sacrifices. Déjà financier, car porter la pointe des tendances vestimentaires demande bien souvent une coquette somme d’argent. Puis du point de vue de sa santé, parce que certains accessoires ne sont pas tendres avec les corps. Il suffit de regarder les escarpins pour s’en apercevoir. Au bout d’une soirée, ils ont tendance à devenir très douloureux. Si l’on pensait que ces engins de torture à talon étaient un supplice moderne, des archéologues ont été surpris de trouver d’autres exemples dans l’histoire européenne. Ils ont en effet découvert une étrange épidémie d’hallux valgus, communément appelé « oignon au pied », ayant frappé l’Angleterre médiévale. Aucun virus tordeur de gros orteils sur le banc des accusés, mais une paire de chaussures très en vogue parmi les plus nantis du moyen-âge.

L’hallux valgus est une déviation du gros orteil vers l’intérieur. La répartition du poids du corps s’en trouve alors bouleversée ce qui crée d’importantes douleurs. Le traitement peut être chirurgical. Moins invasif qu’une opération, un redresseur d’orteil en pharmacie corrige la déviation de l’os peu à peu, soulageant ainsi la douleur. Une des explications de l’apparition de l’hallux valgus est génétique. De même, les pieds plats et égyptiens sont plus susceptibles d’en développer.

Mais des facteurs extérieurs favorisent aussi l’émergence de la déformation. Les chaussures à talon ou à bout étroit augmentent en effet la fréquence de son apparition. Ajouté à de longues périodes à rester debout, on tient là les raisons pour comprendre pourquoi les femmes de plus de 45 ans représentent 95 % des personnes atteintes d’hallux valgus. Un constat qu’une équipe d’archéologues de l’université de Cambridge tend à confirmer avec l’étude de squelettes datant du moyen-âge.

oignon pied femme
Crédits : luaeva / iStock

Une épidémie moyenâgeuse d’oignons au pied

Dans une étude publiée dans l’International Journal of Paleopathology, les chercheurs ont analysé 177 dépouilles d’hommes et de femmes, décédés aux alentours de Cambridge pendant le moyen-âge tardif. Lors du 11e et 13e siècle, seuls 6 % des restes présentent un hallux valgus. Toutefois, ce pourcentage grimpe à 27 % entre les années 1300 et 1500.

Par ailleurs, tous n’étaient pas égaux face à la déformation au cours de cette période. Les nobles et membres du clergé, les classes les plus nanties, sont en effet bien plus touchés. Là où elle n’est que de 3 % dans le cimetière d’un village rural, la proportion des personnes atteintes d’un oignon au pied passe à 43 % quand ces dernières reposent dans l’enceinte d’un monastère. Si plus de squelettes d’hommes ont été trouvés, les femmes ne semblent pas épargnées par ce phénomène touchant majoritairement les individus fortunés.

La « poulaine », la chaussure à la mode

Les archéologues de l’université de Cambridge soulignent que la mode vestimentaire subit un tournant au 14e siècle en Angleterre. Les beaux apparats deviennent de rigueur parmi les plus aisés. Pour être dans le coup, les riches se devaient de porter des « poulaines », des chaussures médiévales à bout pointu et très étroit. Selon les chercheurs, elles seraient la raison derrière cette curieuse épidémie d’hallux valgus. Les chercheurs décrivent des déformations qui peuvent impressionner à cause de l’angle pris par l’os du gros orteil.

L’étude rapporte aussi que les squelettes des individus de plus de 45 ans présentaient davantage de fractures de chute en cas d’hallux valgus. Déséquilibrés par leur pied douloureux, ils avaient en effet plus tendance à tomber et à se casser des os. À l’époque médiévale, il fallait aussi souffrir pour être à la mode et être prêt à mettre sa vie en danger. La « poulaine » du moyen-âge prouve à nouveau qu’une bonne chaussure devrait plutôt protéger le pied au lieu de le blesser pour répondre à des impératifs de mode.

Rédigé par Christophe B.