Des spécimens Salticidae plus sociaux que prévu au cannibalisme sexuel chez Philoponella prominens qui pousse les mâles à se catapulter loin des femelles pour survivre, les araignées arrivent toujours à passionner et surprendre la science avec leurs comportements parfois insolites. Toutefois, rien n’est plus surprenant que la variété impressionnante de techniques de chasse qu’elles déploient, certaines allant même jusqu’à construire des toiles suffisamment résistantes pour capturer des serpents. Récemment, des chercheurs ont découvert une tactique particulièrement cruelle et maligne utilisée par une araignée pour attirer les lucioles dans sa toile en exploitant leurs propres signaux lumineux, les menant alors à une mort certaine.
Une araignée prête à utiliser un spectacle de lumières pour piéger les mâles lucioles dans sa toile
Imaginez être une luciole mâle. Soudainement, vous voilà attiré par les clignotements caractéristiques d’une femelle. Envoûté, vous foncez vers ces signaux en espérant trouver l’amour… pour finalement vous retrouver la tête la première dans la toile d’une araignée. Cette soi-disant femelle brillante était en effet en réalité un autre mâle, lui-même piégé dans la toile et l’araignée aurait manipulé ses signaux lumineux pour vous attirer. Ce comportement, Xinhua Fu, un chercheur spécialiste des lucioles de l’Université Agricole de Huazhong en Chine, l’a découvert pour la première fois sur le terrain en 2004 lors de ses recherches doctorales. Étonné, il observe que seules des lucioles mâles étaient prises dans les pièges mortels de l’araignée. Plus étrange encore : certains mâles capturés émettaient des signaux lumineux similaires à ceux des femelles.
Rappelons en effet que les lucioles utilisent des signaux lumineux pour communiquer entre elles, en émettant des flashs grâce à des sortes de lanternes lumineuses situées sur leur abdomen. Chez les lucioles de l’espèce Abscondita terminalis dont il est ici question, les mâles émettent des flashs à plusieurs impulsions avec deux lanternes pour attirer les femelles, tandis que les femelles émettent des flashs à une seule impulsion pour attirer les mâles. Néanmoins, ces observations de terrain laissaient suggérer que l’araignée orbitèle (Araneus ventricosus) était capable de manipuler les signaux lumineux des mâles capturés dans sa toile pour les pousser à imiter les flashs typiques d’une luciole femelle et attirer ainsi d’autres mâles qui serviront à leur tour de repas.
Une étude pour voir si l’araignée exploite bel et bien les signaux lumineux des lucioles
Dans ses travaux publiés le 19 août le journal Current Biology, l’équipe rapporte avoir capturé des lucioles mâles avec des filets en vue de les placer sur des toiles d’araignées en utilisant de fines pincettes. À l’aide de caméras vidéo, les chercheurs ont alors observé ce qui se passait sur les toiles dans différents scénarios.
Lorsqu’une luciole mâle était prise dans la toile, l’araignée l’enroulait d’abord, puis la mordait au thorax, injectant une petite quantité de venin. Ensuite, l’araignée laissait la luciole mâle au centre de la toile et se cachait en périphérie. Bientôt, la luciole piégée commençait à produire des signaux lumineux semblables à ceux des femelles, ce qui attirait d’autres lucioles mâles en quête d’une partenaire vers la toile. Enfin, lorsque la luciole arrêtait de clignoter, l’araignée répétait l’opération.
D’après les scientifiques, tout ce processus (qui n’est pas sans rappeler le chant des sirènes qui mènent immanquablement les marins à leur perte) durait généralement deux heures, après quoi l’araignée commençait à se régaler de sa proie.
Un comportement complexe qui pose encore quelques questions
« Alors que les yeux des araignées orbitèles supportent généralement une acuité spatiale limitée, elles comptent davantage sur l’acuité temporelle que sur l’acuité spatiale pour discriminer les signaux lumineux », explique Daiqin Li, l’un des co-auteurs de l’étude affilié à l’Université de Hubei. « En détectant les signaux bioluminescents des mâles lucioles capturés, l’araignée déploie une procédure spécialisée de manipulation des proies impliquant des attaques répétées d’enroulement-morsure. » Ces résultats montrent ainsi que les animaux peuvent utiliser des signaux indirects, mais dynamiques pour cibler une catégorie de proie exceptionnellement spécifique dans la nature.
Les chercheurs suggèrent également qu’il pourrait exister de nombreux autres exemples non décrits dans la nature où les prédateurs peuvent utiliser le mimétisme pour manipuler le comportement de leurs proies en se basant sur des signaux communicatifs qui peuvent inclure des sons, des phéromones ou d’autres moyens. Ils notent toutefois que plus d’études sont nécessaires pour déterminer si le venin de l’araignée ou la morsure elle-même conduit à des changements dans le motif lumineux des mâles capturés. Une étude neurobiologique serait donc nécessaire pour comprendre en détail ce qui cause ce changement.
Ces recherches démontrent en tout cas une fois de plus l’intelligence et la capacité à adopter des comportements complexes chez les arthropodes, souvent considérés à tort comme des organismes simples. Surtout, elles nous rappellent qu’il nous reste encore beaucoup à apprendre sur le comportement des araignées, laissant présager de futures découvertes fascinantes chez les arachnides.
Pour consulter l’étude complète, suivez ce lien.