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Après 130 ans au bord du gouffre, ces géants marins refusent de disparaître : les chiffres de 2024 changent tout

Pendant plus d’un siècle, les scientifiques ont observé leur agonie en silence. Chassées jusqu’à l’extinction au 19e siècle, les baleines franches de l’Atlantique Nord ont frôlé le néant absolu. Mais 2024 vient de nous offrir quelque chose que personne n’osait plus espérer : un tournant. Fragile, précaire, mais réel.

Les chiffres qui redonnent espoir

Le Consortium des baleines franches de l’Atlantique Nord vient de publier des données qui font trembler d’émotion la communauté scientifique. La population a augmenté de 2% en 2024, portant le nombre total d’individus à environ 384 animaux. Huit nouveaux baleineaux sont venus grossir les rangs de cette espèce classée en danger critique d’extinction.

Deux pour cent. Sur le papier, cela semble dérisoire. Mais pour une espèce qui a perdu 25% de sa population dans la décennie précédente, chaque baleineau compte comme une victoire arrachée au destin. Depuis 2020, la population a progressé de plus de 7%, inversant enfin une tendance mortifère qui semblait irréversible.

Heather Pettis, qui dirige le programme de recherche sur les baleines franches au New England Aquarium, choisit ses mots avec précaution : « La légère augmentation de l’estimation de la population, associée à l’absence de mortalité détectée et à la diminution des blessures, nous rend prudemment optimistes. » Prudemment. Le mot est lourd de sens.

Pourquoi on les appelle les « bonnes » baleines

L’histoire de ces géants marins porte en elle toute l’ironie tragique de notre relation avec la nature. Les baleines franches de l’Atlantique Nord doivent leur nom à une caractéristique qui a failli les condamner : elles étaient les baleines « idéales » à chasser. Lentes, dociles, riches en graisse, et surtout, elles flottaient une fois mortes, facilitant leur récupération.

Au début des années 1890, cette « qualité » les a menées au bord de l’anéantissement total. Les chasseurs de baleines les ont traquées avec une efficacité industrielle jusqu’à ce qu’il n’en reste presque plus aucune. Pendant des décennies, on les a crues perdues à jamais.

baleines franches de l'Atlantique nord
Source : NOAA

Le combat n’est pas terminé

Aucun décès n’a été enregistré en 2024. Cette phrase devrait être une célébration, mais elle cache une réalité plus sombre. Les menaces n’ont pas disparu, elles se sont simplement diversifiées. Les harpons ont été remplacés par des dangers plus insidieux mais tout aussi mortels.

Les collisions avec les navires tuent encore régulièrement. Mais le véritable fléau moderne porte un nom moins connu : l’enchevêtrement dans les engins de pêche. Selon l’organisation Oceana, environ un quart de la population se retrouve piégée chaque année dans des cordages, des filets, des bouées. Pire encore : 85% des baleines franches portent les cicatrices d’au moins un enchevêtrement au cours de leur vie.

Philip Hamilton, scientifique principal au Centre Anderson Cabot, explique la difficulté du problème : « Détecter les enchevêtrements nécessite que deux choses soient alignées : que les gens regardent et que les baleines soient présentes aux moments et aux endroits où ils regardent. » Une aiguille dans une botte de foin, à l’échelle de l’océan Atlantique.

baleines franches de l'Atlantique nord
Source : Domaine public

Des solutions qui dépendent de nous

Les scientifiques ne baissent pas les bras. Des zones temporaires sans pêche sont établies dans les zones de migration. Des engins de pêche sans cordage sont développés et testés, remplaçant les lignes qui piègent les baleines par des systèmes de bouées libérées à distance. Ces innovations existent, mais leur déploiement à grande échelle nécessite le soutien des communautés de pêcheurs.

Le problème reste aussi que beaucoup de baleines sont blessées ou en mauvaise santé, et que les taux de natalité restent préoccupants malgré les huit nouveaux baleineaux de 2024.

Heather Pettis conclut avec une franchise désarmante : « Le chemin vers le rétablissement de cette population est long. Les baleines franches de l’Atlantique Nord doivent continuer à nager, et nous devons les laisser faire. »

Ces 384 géants marins sont les survivants d’un massacre qui aurait dû les effacer de la surface du globe. Leur simple existence est un miracle fragile. Leur augmentation en 2024 est un espoir ténu mais précieux. Maintenant, reste à savoir si nous saurons les protéger assez longtemps pour qu’ils puissent vraiment revenir.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.