Pour étudier l’antimatière, vous devez d’abord la ralentir

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Makoto Fujiwara avec l'appareil ALPHA Experiment du CERN. Crédits : Maximilien Brice

En juillet 2018, des physiciens du CERN ont tenté de ralentir des particules d’antimatière se déplaçant à des vitesses vertigineuses dans le cadre d’une collaboration internationale baptisée ALPHA. Le but était alors de se donner le temps de les analyser. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans la revue Nature.

Le mystère de l’asymétrie matière/antimatière

L’antimatière est un miroir de la matière. Imaginez les mêmes particules, mais avec des charges opposées. Tandis que les électrons de matière ont une charge négative, les positrons (ou antiélectrons) d’antimatière sont chargés positivement. Ou tandis que les protons sont chargés positivement, leurs antiprotons sont chargés négativement, et ainsi de suite.

Matière et antimatière ont été produites en même quantité au moment du Big Bang. Toutefois, elles ne se sont pas comportées de la même manière. Si les deux matières se rencontrent, elles s’annihilent. Or, au cours de la première seconde qui suivit le Big Bang il y a 13,77 milliards d’années, nous savons que la matière a remporté son match contre l’antimatière.

Ainsi, au terme de ce processus d’annihilation, au lieu de la disparition de tout ce petit monde, il est ainsi demeuré un surplus de matière. C’est pourquoi nous sommes encore ici pour en parler. Sans ce déséquilibre initial, l’univers n’existerait pas. La question est : pourquoi un tel déséquilibre s’est-il opéré en premier lieu ?

Pour l’heure, les cosmologistes l’ignorent encore. Pour nous donner les moyens de comprendre cette énigme, nous devons donc étudier l’antimatière. Ce n’est évidemment pas une mince affaire. Comme dit plus haut, les antiparticules s’annihilent en présence de matière. En outre, elles se déplacent à des vitesses vertigineuses.

L’idée consiste donc à les produire ou à les capturer, puis à les ralentir suffisamment dans le but de pouvoir analyser leurs propriétés.

Dans la vie de tous les jours, vous aurez en effet moins le temps d’apprécier une belle voiture fonçant à toute vitesse que si cette même voiture se met à freiner à l’approche d’un feu rouge. C’est pareil en physique quantique : plus vous avez de temps pour observer une certaine propriété, plus votre mesure est précise.

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Illustration d’artiste du Big Bang. Crédits : ESA

Ralentir une antiparticule à la vitesse d’un guépard

Au cours des ces dernières décennies, notre capacité à expérimenter avec cette antimatière considérablement progressé. Le dernier projet en date, ALPHA, « bricole » au CERN des atomes d’antihydrogène (un positron en orbite autour d’un antiproton, tout comme un électron est en orbite autour d’un proton dans l’hydrogène régulier).

Capturé pour la première fois en 2011, l’antihydrogène se présente en effet un candidat de choix pour une telle expérimentation, car c’est l’antiatome le plus simple. Pas de panique, les quantités produites sont infimes.

Dans le cadre de ce projet, les physiciens du CERN ont piégé ces antiatomes dans un champ magnétique avant de les bombarder avec des photons (particules de lumière) tirés d’un laser. « Une fois que les photons atteignent les atomes, ils les excitent et modifient leurs mouvements« , explique Takamasa Momose, l’un des principaux acteurs de ces travaux.

Lorsqu’ils sont piégés, les antihydrogènes se déplacent à un peu plus de 300 km/h.  En contrôlant la lumière, les chercheurs se sont ici donné les moyens de les ralentir à environ la vitesse d’un guépard, réduisant ainsi leur température.

Les physiciens ont ainsi démontré leur capacité à manipuler le mouvement des atomes d’antimatière par la lumière laser. Ces travaux ouvriront la voie à des expériences futures potentiellement révolutionnaires. L’une d’elles consistera à projeter dans de l’espace vide des antiatomes et de les ralentir pour analyser leur façon de tomber sous l’effet de la gravité.