Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) surviennent après un événement traumatisant, et se traduisent par une détresse morale et des complications physiques. Ces troubles sont depuis longtemps étudiés chez l’Homme. Ils ont également été reconnus chez les chiens depuis une grosse dizaine d’années. Mais qu’en est-il des animaux sauvages ?
Comme pour les humains, la peur peut amener les animaux à proposer plusieurs réflexes de défenses : agressivité, fuite, ou immobilisme. Néanmoins, si elles le peuvent encore, les proies attaquées par des prédateurs privilégient naturellement la seconde option, à moins d’être acculées.
Il y a encore quelques décennies en revanche, les scientifiques supposaient que l’impact d’un prédateur sur une proie individuelle était alors soit mortel, soit éphémère. Si un animal survit à l’attaque d’un autre, il continue de vivre sa vie comme avant, pensait-on à l’époque. En réalité la peur du danger peut avoir des coûts plus insidieux, altérant le comportement et la physiologie à long terme des animaux sauvages.
L’exemple des lièvres d’Amérique
Dans le Yukon canadien, ces animaux sont en effet à l’origine d’un phénomène étudié depuis les années 1920. Toutes les quelques années, les populations de lièvres augmentent, ce qui entraîne une augmentation de prédateurs (principalement des coyotes et des lynx). Ensuite, la population de lièvres s’effondre et les prédateurs se retirent.
Pendant longtemps, les écologistes ont pensé que les populations augmentaient au départ grâce à l’absence de prédateurs, et qu’elles diminuaient ensuite parce que de nombreux lièvres se faisaient attraper et manger. C’est en partie vrai. Cependant, des travaux menés au cours de ces dernières années ont permis de soulever un autre facteur important.
Dans le cadre d’une étude, Rudy Boonstra et son équipe de l’Université de Toronto ont en effet testé les excréments de lièvres capturés vivants pendant les phases de montée et de chute du cycle de population. Ils ont alors découvert que les niveaux de cortisol – une hormone du stress – fluctuaient avec la densité des prédateurs, atteignant un pic lorsque les prédateurs étaient les plus nombreux. Ces femelles, ont découvert les chercheurs, se nourrissaient moins et, de fait, portaient moins de bébés. En outre, ces derniers avaient tendance à être plus petits.
Des niveaux accrus d’hormones de stress étaient également transmis aux femelles, ralentissant les taux de reproduction des lièvres, et ce même si les prédateurs étaient moins nombreux et la nourriture abondante. Cela explique pourquoi la population de lièvres reste faible pendant trois à cinq ans, avant de finalement rebondir ensuite.
Le traumatisme de vivre à travers des poursuites répétées déclenche ainsi des changements durables dans la chimie du cerveau des lièvres. Or, ces changements sont parallèles à ceux observés dans le cerveau des personnes souffrant de stress post-traumatique.
Le cas des éléphants
Ces résultats s’ajoutent à un nombre croissant de preuves suggérant que les expériences effrayantes peuvent avoir des effets durables sur la faune. Les éléphants sont un autre exemple. De nombreux pachydermes évoluant de nos jours ont en effet assisté au massacre de leurs mères et de leurs tantes, braconnées pour leurs défenses. Ces traumatismes précoces, associés au manque de stabilité familiale très importante chez les éléphants, amènent certains orphelins à devenir très craintifs, ou parfois très agressifs, à mesure qu’ils grandissent jusqu’à l’adolescence.
«Il existe des parallèles intéressants entre ce que nous voyons chez les humains et les éléphants», explique Graeme Shannon, un écologiste comportemental à l’Université de Bangor au Pays de Galles.
Le chercheur en a fait l’expérience avec son équipe dans la réserve de chasse de Pongola, en Afrique du Sud. Un jour, au détour d’un virage, Buga, la matriarche d’un troupeau, s’est positionnée en plein milieu de la route pour faire face à leur voiture, en signe d’avertissement. Le conducteur a immédiatement éteint le moteur, ce qui calme généralement les éléphants. Au lieu de cela, Buga a chargé le véhicule avant de le renverser, tandis que les chercheurs prenaient leurs jambes à leur cou.
La réaction extrême de Buga, soupçonne le chercheur, pourrait être un signe de stress post-traumatique lié au traumatisme qu’elle avait subi lorsqu’elle avait été capturée et déplacée six ans plus tôt.
Un parallèle avec les humains
Les réponses humaines au danger, aux blessures et aux pertes font probablement partie de ce même ensemble évolué de réponses.
Des études d’imagerie cérébrale ont montré que les personnes atteintes de stress post-traumatique ont un hippocampe – qui forme des souvenirs conscients d’événements quotidiens – moins volumineux. Cela signifie que la neurogenèse – la croissance de nouveaux neurones – est altérée. Or la neurogenèse est essentielle au processus d’oubli, ou de mise en perspective des souvenirs. C’est pourquoi les personnes atteintes du TPST se retrouvent souvent hantées par des souvenirs traumatisants.
Liana Zanette et Michael Clinchy, de l’Université de Western Ontario, étudient cette « écologie de la peur » depuis plusieurs années chez les animaux. De la même manière qu’un souvenir traumatisant supprime le processus de neurogenèse chez les patients humains souffrant de TPST, la peur des prédateurs peut également avoir les mêmes effets chez les rats de laboratoire, ont-ils découvert.
Le même schéma se maintient également chez certaines espèces évoluant dans leur habitat naturel.
Au cours d’une expérience, des cris de faucons diffusés dans une forêt ont par exemple amené les bruants chanteurs femelles à produire 40 % moins de progénitures vivantes que d’habitude, rapporte le Smithoninan Mag.
Des expériences menées chez les vachers à tête brune et les mésanges à tête noire ont également souligné que des appels de prédateurs diffusés entraînaient des changements neurochimiques durables dus à la peur une semaine plus tard. Or, ces signaux neurochimiques sont parallèles à ceux observés chez les espèces de rongeurs utilisées par les chercheurs pour comprendre le développement de ces troubles chez les humains.
Des racines profondes
Aussi, si les troubles de stress post-traumatique ont longtemps été considérés comme l’apanage des humains, beaucoup de spécialistes considèrent que nous partageons ces réactions avec de nombreuses autres espèces. Selon Sarah Mathew, anthropologue évolutionniste à l’Arizona State University, le TSPT aurait ainsi des racines évolutives profondes.
Cette perspective évolutive pourrait avoir des bénéfices importants chez les humains. Les troubles du stress post-traumatiques sont en effet souvent stigmatisés, ce qui freine parfois l’intention de vouloir se faire soigner. Si les patients peuvent comprendre que leurs symptômes sont en réalité le fruit d’une fonction évolutive très ancienne, cela pourrait en amener certain.es à mieux accepter leur condition, pour finalement demander de l’aide. Le cerveau d’une personne atteinte de TSPT n’est pas un cerveau endommagé ou dysfonctionnel, simplement un cerveau sur-protecteur.