Pourquoi nos ancêtres auraient pu consommer de la matière végétale partiellement digérée

digesta glucides
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Selon un chercheur, les premiers butineurs humains ont peut-être compté sur la consommation de matière végétale partiellement digérée, appelée digesta, trouvée dans l’estomac et le tube digestif de grands herbivores pour survivre dans les conditions de grand froid. Exclue pendant longtemps, l’intégration de ce digesta dans les modèles de recherche de nourriture pourrait permettre aux chercheurs de mieux répondre aux questions majeures de l’anthropologie évolutionniste. Les détails de ces travaux sont publiés dans la revue Evolutionary Anthropology: Issues, News, and Reviews.

Contrairement à beaucoup d’espèces qui ont spécialisé leur alimentation, les humains comptent sur un régime équilibré pour faire fonctionner leur organisme. Cette approche nous a réussi, mais elle peut poser problème dans des conditions environnementales extrêmes comme pendant les hivers à haute latitude, lorsque les sources de nourriture disponibles diminuent. De nos jours, ces difficultés peuvent être surmontées avec une relative facilité, mais comment faisaient nos ancêtres ?

Les anthropologues se sont par exemple longtemps demandé d’où ces derniers tiraient leurs glucides pendant les périodes de froid. Un récent article évoque une source largement sous-estimée : le « digesta ».

De la matière partiellement digérée

Les herbivores spécialisés tels que les ruminants ont développé la capacité d’extraire des nutriments que nous ne pouvons pas. Dans les plaines d’Afrique, nos ancêtres ont développé une approche différente en consommant ces ruminants et autres herbivores pour tirer des protéines, et en consommant des végétaux plus faciles à digérer comme les fruits pour satisfaire les autres besoins alimentaires.

Aux latitudes plus élevées, suite aux migrations hors africaines, ces végétaux n’étaient cependant plus disponibles en quantités suffisantes. Pour le Dr Raven Garvey, de l’Université du Michigan, la matière partiellement digérée par les animaux morts (le fameux « digesta ») aurait alors aidé à combler ce manque. L’exposition aux microbes en fermentation dans l’estomac de ces animaux, comme les bisons, décompose en effet la cellulose en sucres. Dès lors, certains nutriments au départ inaccessibles à nos petits estomacs deviennent potentiellement absorbables.

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Quelles implications

Dans son article, le chercheur souligne que nous n’avons jusqu’à présent pas suffisamment tenu compte de cette ressource alimentaire. Or, le fait de l’avoir sous-estimée pourrait avoir des conséquences importantes dans les travaux portant sur les questions majeures de l’anthropologie évolutionniste.

En plus de répondre au mystère de la survie dans les conditions les plus difficiles, la prise en compte des quantités probables de digesta modifie en effet notre regard sur plusieurs aspects importants de la vie ancienne. Cette approche remet par exemple en question l’hypothèse selon laquelle les hommes s’occupaient de la chasse, tandis que les femmes s’occupaient de la cueillette. Ici, le chercheur démontre en effet que digesta compris, un bison pouvait fournir tous les besoins nutritionnels d’une tribu de vingt-cinq humains pendant trois jours. En hiver, il aurait donc peut-être été plus logique pour les femmes de se joindre à la chasse plutôt que de s’évertuer à chercher des fruits.

Certaines fouilles anthropologiques vont d’ailleurs dans ce sens. Vers la fin de la dernière période glaciaire, nous savons en effet que des femmes ont été enterrées avec des outils de chasse en Amérique. Ces restes sont d’ailleurs si nombreux qu’il a déjà été proposé qu’un tiers à la moitié des chasseurs de gros gibier étaient des femmes. La présence de dommages compatibles avec la chasse aux gros animaux sur les squelettes de femmes eurasiennes ayant vécu il y a 50 000 ans à des latitudes élevées renforce aussi cette hypothèse.

Cependant, malgré les bienfaits du digesta, le chercheur convient qu’à mesure que les populations humaines augmentaient, nos ancêtres auraient dû se tourner vers d’autres sources de glucides, le digesta n’étant plus suffisant. Ces besoins supplémentaires pourraient d’ailleurs en avoir conduit certains à s’installer pour en produire, ouvrant ainsi la voie aux débuts de l’agriculture.