Nos ancêtres maîtrisaient l’art du poison plus tôt qu’on ne le pensait

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Crédits : batuhan toker/istock

Les secrets bien cachés des chasseurs-cueilleurs européens révèlent qu’ils pourraient être bien plus profonds et plus sophistiqués qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Une nouvelle étude révèle en effet que des armes à flèches empoisonnées pourraient avoir été utilisées en Europe il y a plus de 50 000 ans, repoussant ainsi la date de l’apparition des arcs et des flèches de plusieurs millénaires. Cette découverte pourrait transformer notre compréhension de la chasse à l’âge de pierre et nous offrir un aperçu fascinant sur les compétences technologiques des peuples préhistoriques.

Le site de Stellmoor

Jusqu’à récemment, les premières preuves concrètes de l’utilisation de l’archerie en Europe provenaient du site de Stellmoor, situé près de Hambourg, en Allemagne, et qui est daté de 11 000 à 12 000 ans. Les découvertes faites sur place comprennent des pointes de flèches en pierre ainsi que des fragments d’arcs, des objets essentiels pour comprendre l’évolution des techniques de chasse à l’époque paléolithique. Ces artefacts indiquent une transition significative dans les méthodes de chasse. Ils marquent en effet un tournant important dans l’efficacité des outils utilisés pour capturer des proies.

Avant cette découverte, les armes principales étaient les lances et les javelots, qui nécessitaient une proximité relativement grande avec l’animal ciblé. En revanche, le tir à l’arc permettait aux chasseurs de maintenir une distance plus sûre tout en augmentant la précision et la portée des projectiles. Les flèches propulsées par des arcs pouvaient atteindre des cibles plus éloignées, offrant un avantage stratégique considérable dans les environnements de chasse variés et parfois dangereux.

Les pointes de flèches retrouvées à Stellmoor montrent également une sophistication technique remarquable. Conçues pour être fixées aux tiges de bois, elles étaient souvent taillées avec une grande précision pour optimiser leur pénétration et leur capacité à infliger des blessures mortelles aux animaux. Cette évolution vers des outils plus sophistiqués reflète une adaptation intelligente aux défis environnementaux et à la nécessité de chasser des proies plus robustes et parfois plus agiles.

Les découvertes de Stellmoor ont ainsi marqué un jalon dans l’histoire des techniques de chasse en Europe, indiquant que les sociétés paléolithiques avaient déjà commencé à développer des méthodes de chasse sophistiquées il y a environ 11 000 ans. Cependant, des recherches récentes menées par des équipes de scientifiques remettent en question cette chronologie.

Nouvelle découverte sur les armes préhistoriques

En analysant un vaste échantillon de plus de 500 pointes de pierre provenant de 25 sites archéologiques différents du nord de l’Europe, datées d’il y a environ 14 700 à 11 700 ans, des chercheurs ont en effet découvert des preuves suggérant que l’usage des arcs et des flèches pourrait remonter bien plus loin que ce que l’on pensait auparavant.

Les chercheurs ont employé une méthode d’analyse balistique détaillée pour examiner ces pointes de flèches. En calculant la Surface Transversale de la Pointe (TCSA), une mesure qui indique la taille de la coupe que la pointe est censée faire dans la peau d’une proie, ils ont pu déterminer l’usage probable de ces projectiles. Cette approche a permis de différencier les pointes de flèches adaptées pour les armes de jet comme les lances, les javelots et les flèches ordinaires, de celles conçues pour des flèches empoisonnées.

Les résultats ont montré que certains des plus anciens projectiles examinés présentent des caractéristiques similaires à celles trouvées sur les flèches plus récentes, notamment celles provenant de sites comme Stellmoor. En outre, une partie des pointes de flèches dévoile des caractéristiques qui correspondent à des flèches utilisées pour les poisons.

Nous savons que les pointes de flèches conçues pour être empoisonnées sont souvent petites et adaptées pour faire pénétrer le poison dans la circulation sanguine de la proie, plutôt que de créer une blessure profonde. Cette découverte indique donc que les chasseurs européens de l’époque utilisaient peut-être des poisons naturels pour améliorer l’efficacité de leurs armes.

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Représentations des différents systèmes de lancement d’armes paléolithiques. Ceci ne suggère pas une évolution linéaire. Le schéma représente simplement des pointes d’armes avec des valeurs TCSA du plus grand au plus petit. Crédits : Marlize Lombard

Des flèches empoisonnées déjà utilisées il y a 54 000 ans ?

Pour étayer leur hypothèse sur l’utilisation précoce des flèches empoisonnées, les chercheurs ont également examiné des pointes de pierre beaucoup plus anciennes datant de 54 000 ans. Ces artefacts proviennent de la grotte de Mandrin, située en France. Jusqu’à cette étude, ces pointes étaient généralement considérées comme des outils ou des armes pour d’autres usages, plutôt que comme des pointes de flèches.

Leur analyse a révélé des résultats surprenants. Près de la moitié des pointes de pierre de Mandrin étaient visiblement adaptées à des flèches non empoisonnées, tandis qu’environ un quart des pointes étudiées étaient clairement optimisées pour les flèches empoisonnées. Cela signifie qu’elles avaient des caractéristiques spécifiques, telles que des tailles et des formes adaptées à l’injection de toxines dans les proies.

En reliant ces découvertes avec les analyses des pointes de flèches plus récentes, les chercheurs montrent que les flèches empoisonnées n’étaient peut-être pas une innovation plus tardive comme on le pensait auparavant.

Bien que les chercheurs n’aient pas encore déterminé les types précis de toxines utilisées, ils proposent une liste de 58 plantes d’Europe du Nord susceptibles d’avoir été employées pour extraire des poisons à l’âge de pierre.

En reconsidérant les dates et les méthodes de chasse, cette recherche ouvre donc de nouvelles perspectives sur les stratégies de survie et les innovations des sociétés paléolithiques. Des fouilles et analyses supplémentaires pourraient aider les chercheurs à confirmer cette précocité dans l’utilisation des armes préhistoriques.