Entre l’amphibien qui allaite ses bébés comme un mammifère, ceux qui survivent aux champignons mortels sans sourciller et celui que l’on surnomme serpent pénis, les amphibiens peuvent parfois nous réserver quelques surprises avec leur apparence unique ou avoir des comportements insolites. Le dendrobate à tapirer ou dendrobate teint (Dendrobates tinctorius) est justement de ceux-là.
Cette espèce tropicale présente en Guyane et en Amérique du Sud, notamment au Brésil, se démarque avant tout par sa robe colorée qui affiche une trentaine de variantes qui marient le bleu, le jaune vif ou encore le noir profond avec beauté. Elle est aussi une venimeuse passive qui sécrète du poison avec sa peau et peut intoxiquer l’organisme par contact. Une autre caractéristique qui lui a valu le nom de tinctorius est que certaines tribus amérindiennes utilisent son mucus frotté sur de jeunes perroquets pour faire repousser des plumes anormalement colorées aux endroits où elles ont été arrachées pour confectionner de jolies parures ou encore pour confectionner des poisons utilisés pour l’art de la chasse et de la guerre. C’est toutefois pour une tout autre spécificité que cette grenouille fait à présent la une des médias scientifiques.
Un amphibien avec un certain talent pour les claquettes
Pour son étude, l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign (États-Unis) voulait en effet comprendre pourquoi ce petit animal de deux à quatre centimètres (soit à peine la taille d’une épingle à nourrice ou d’une abeille adulte) pouvait parfois se mettre à faire des claquettes avec les orteils ses pattes arrière à un rythme pouvant aller jusqu’à 500 tapotements par minute ou 8 par seconde, ce qui est trois fois plus rapide que le rythme de la chanson “Shake It Off” de Taylor Swift pour l’anecdote.
Pour étudier ce curieux comportement, les chercheurs ont ici enregistré vingt-deux amphibiens au moment où ils se faisaient nourrir. Les observations furent alors très impressionnantes. Dès lors que de la nourriture (ici des drosophiles) se trouvait à proximité, les tapotements grimpaient à 389 par minute contre seulement 50 en l’absence d’un encas appétissant ou lorsque les insectes étaient visibles, mais enfermés dans des boîtes de Petri. Cela laisse ainsi suggérer que ces animaux augmentent la vitesse uniquement lorsque la capture de proies se profile raisonnablement à l’horizon.
Au cours de leurs expériences, les scientifiques ont également noté une différence notable dans la fréquence de tapotement en fonction des différentes surfaces sur lesquelles ils posaient les animaux. Lorsque les drosophiles étaient proches et que les grenouilles se trouvaient sur des feuilles, le nombre moyen de petites tapes pouvait culminer à 255 par minute. Sur de la terre, cela tombait à 98 tapes par minute et 118 sur de la gélose. Toutefois, les tapes étaient beaucoup plus réduites sur une ‘piste de danse’ faite de verre : seulement 64 tapes par minute. Et d’après l’équipe, cela pourrait s’expliquer par l’impact de la surface sur la production de vibrations, plus efficace sur les feuilles.
Comment expliquer un tel comportement ?
Les chercheurs n’excluent pas totalement la possibilité que ces amphibiens puissent simplement taper de la patte parce qu’ils ressentent une forte excitation à l’idée du bon repas qui les attend. Néanmoins, une autre piste leur semble beaucoup plus vraisemblable. Comme l’affirme Eva Fischer, l’une des deux personnes à l’origine de ces travaux insolites : « ces grenouilles ne peuvent chercher de la nourriture que quand la proie est vivante et bouge, donc peut-être que ces tapotements permettent de créer des vibrations qui font sursauter les mouches et les font bouger ».
Cela peut en outre les rendre plus faciles à détecter avant de les dévorer. Il se pourrait également que les tapes de cet amphibien puissent servir à attirer les proies pour qu’elles se rapprochent. L’équipe a en tout cas remarqué qu’un rythme plus effréné était corrélé avec plus de tentatives pour attraper les drosophiles (même si dans les faits, cela n’assurait pas pour autant le succès de la chasse).
De plus amples recherches seront nécessaires pour apporter des conclusions formelles et pouvoir affirmer avec assurance que cet amphibien tape la patte délibérément pour faire bouger les insectes. Ces résultats semblent en tout cas cohérents avec une étude publiée en novembre 2023 par l’Université de Magdalena (Colombie) qui avait déterminé avec un accéléromètre que ces amphibiens tapaient plus rapidement avant d’attaquer une proie. Et comme l’explique Reginald Cocroft, un chercheur de l’Université du Missouri qui avait participé à l’étude colombienne : « il s’agit potentiellement d’un exemple intéressant de prédateur qui a recours à des signaux sensoriels pour manipuler le comportement de ses proies, ou en tout cas, c’est une possibilité. »