Chaque année, l’alcool est responsable d’environ 41 000 cas de cancer et de 16 000 décès liés à cette maladie en France selon les estimations des autorités de santé. Cela en fait l’une des principales causes évitables de cancer après le tabac et le surpoids. Mais comment l’alcool agit-il pour favoriser le développement de cette maladie ? Les scientifiques ont identifié au moins cinq mécanismes biologiques par lesquels les boissons alcoolisées augmentent le risque de cancer, un danger qui croît avec la quantité consommée.
L’alcool : un danger souvent sous-estimé
L’alcool est un facteur de risque majeur pour plusieurs types de cancers, notamment ceux de la bouche, de la gorge, de l’œsophage, du foie, du sein et du côlon. Ces cancers résultent principalement de l’action nocive de l’éthanol, l’ingrédient actif commun à toutes les boissons alcoolisées, qu’il s’agisse de vin, de bière ou de spiritueux. Contrairement à une idée reçue, aucun type d’alcool n’est moins dangereux qu’un autre en matière de cancer.
Les recherches montrent également que même une consommation modérée peut accroître significativement le risque de développer certains cancers. Par exemple, une femme qui consomme un verre de vin par jour voit son risque de cancer du sein augmenter de manière mesurable. Les risques liés à l’alcool augmentent également pour les cancers de la tête et du cou, même à des niveaux de consommation relativement faibles.
Il est également important de noter qu’il n’existe pas de seuil de consommation sans danger en ce qui concerne le risque de cancer. Chaque verre consommé contribue à augmenter ce risque, de manière dose-dépendante. Cette réalité contraste fortement avec la perception culturelle de l’alcool, souvent présenté comme un produit anodin, voire bénéfique en petite quantité. Mais comment exactement l’alcool provoque-t-il le cancer ?
Cinq mécanismes biologiques
La perturbation de la méthylation de l’ADN
Comme dit plus haut, l’éthanol (ou alcool éthylique) présent dans les boissons alcoolisées est au cœur du premier mécanisme. Il peut en effet perturber un processus appelé méthylation de l’ADN, une modification chimique qui influence l’expression des gènes. Or, ce processus est essentiel pour maintenir les gènes suppresseurs de tumeurs actifs, ces derniers jouant un rôle crucial dans la prévention du cancer. Lorsque l’alcool interfère avec la méthylation, ces gènes sont désactivés, ce qui augmente le risque de développement de tumeurs.
Les effets nocifs de l’acétaldéhyde
Lorsqu’il est ingéré, l’éthanol est métabolisé par une enzyme en un composé chimique appelé acétaldéhyde. Ce produit intermédiaire est hautement toxique et directement cancérigène. L’acétaldéhyde endommage l’ADN et empêche sa réparation, ce qui peut entraîner une croissance cellulaire incontrôlée et la formation de tumeurs. Les tissus directement exposés, comme la bouche, la gorge et le foie, sont particulièrement vulnérables à ces dommages.
Le stress oxydatif et production de ROS (espèces réactives de l’oxygène)
La consommation d’alcool peut également conduire à une accumulation de molécules nocives appelées espèces réactives de l’oxygène (ROS). Ces molécules, générées naturellement par le métabolisme cellulaire, peuvent causer des dommages oxydatifs à l’ADN lorsqu’elles sont produites en excès. Une enzyme appelée CYP2E1, présente dans l’œsophage et activée par la consommation d’alcool, intensifie la production de ROS. Ces molécules déclenchent des mutations génétiques et perturbent le comportement cellulaire, favorisant ainsi la formation de tumeurs.
L’augmentation des niveaux d’œstrogène
Chez les femmes, la consommation d’alcool peut élever les niveaux d’œstrogène, une hormone impliquée dans la régulation de nombreuses fonctions corporelles. Cependant, l’œstrogène est aussi le carburant de certains types de cancers, notamment ceux du sein. Lorsque les cellules tumorales possèdent des récepteurs hormonaux auxquels l’œstrogène se lie, cela peut accélérer leur croissance et leur propagation. L’alcool joue ainsi un rôle à la fois dans le déclenchement de nouvelles tumeurs et dans l’aggravation de cancers existants.
L’effet solvant des molécules cancérigènes
Enfin, l’alcool agit comme un solvant, facilitant la pénétration de molécules cancérigènes d’autres sources, comme la fumée de tabac, dans les tissus. Dissoutes dans l’alcool, ces particules nocives peuvent alors endommager l’ADN plus facilement, ce qui augmente les risques de cancers de la bouche, de la gorge et de l’œsophage.

Facteurs modulateurs et protection potentielle
Si l’alcool est un facteur de risque avéré de plusieurs types de cancers, certains éléments externes peuvent également moduler ses effets nocifs. Parmi ces facteurs, l’apport en acide folique joue un rôle crucial. Ce nutriment essentiel, présent dans les légumes à feuilles vertes (comme les épinards et le chou kale), les légumineuses, les fruits riches en vitamine B9, ainsi que dans certains compléments alimentaires, pourrait atténuer l’impact cancérogène de l’alcool, notamment sur les cancers colorectaux.
Plus précisément, des recherches ont montré que les personnes qui consomment régulièrement de l’alcool tout en ayant un apport suffisant en folate présentent un risque réduit de développer certains cancers en comparaison avec celles qui ont une consommation d’alcool similaire, mais un faible taux de ce nutriment. L’acide folique joue un rôle clé dans la méthylation de l’ADN, un processus essentiel à la réparation et à la protection de l’ADN contre les dommages causés par l’alcool. En limitant les perturbations de ce mécanisme, le folate peut offrir une forme de protection, bien que partielle.
Cependant, il est essentiel de souligner que l’apport en folate ne neutralise pas complètement les risques associés à l’alcool. La meilleure stratégie pour réduire ces risques reste la diminution, voire l’élimination de la consommation d’alcool. Néanmoins, dans une perspective de santé globale, maintenir une alimentation équilibrée riche en nutriments essentiels comme l’acide folique est une démarche bénéfique, tant pour minimiser les effets de l’alcool que pour renforcer les mécanismes naturels de défense du corps.