Alaska : comment les rivières sont devenues orange et aussi acides que du vinaigre

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Crédits : Ken Hill / Service du parc national de Kobuk Valley

Avec ses plus de 12 000 rivières, l’État de l’Alaska dépend beaucoup de ses eaux sur un plan économique pour la pêche, le tourisme et les loisirs, mais aussi culturel pour les populations autochtones chez qui elles sont au cœur des traditions. Surtout, ces étendues aquatiques sont très importantes pour la grande diversité de faune et de flore qu’elles abritent, le tout au sein d’un écosystème riche et dynamique dans le cercle polaire arctique. Toutefois, ces rivières vitales et leurs bassins versants font face à un phénomène inquiétant qui a attiré l’attention des chercheurs. En effet, leurs eaux autrefois pures et cristallines tournent à l’orange vif et deviennent très acides. Une étude récente vise à mieux comprendre les origines de cette transformation dangereuse et visiblement, le changement climatique n’y est pas étranger.

Le cas très étrange des rivières orange en Alaska

Pour ces recherches, les scientifiques ont collecté des échantillons à 75 endroits au niveau de la chaîne montagneuse de Brooks, dans la région arctique de l’Alaska, ainsi que dans le parc national de Kobuk Valley. Parfois, les zones étaient si difficiles d’accès qu’il leur a fallu y aller en hélicoptère. « Plus nous volions ça et là, plus nous remarquions des rivières et cours d’eau orange. Certains sites ressemblaient presque à du jus d’orange lacté », déplore Jon O’Donnell, le principal auteur de ces travaux et écologiste du National Park Service Arctic Inventory and Monitoring Network.

Et comme l’ajoute Brett Poulin, l’un des chercheurs de l’étude et professeur adjoint en toxicologie environnementale à l’Université de Californie à Davis, certaines de ces zones tachées d’orange sont si larges qu’elles sont même visibles depuis l’espace, signe qu’elles doivent être très profondément tachées. D’ailleurs, si Jon O’Donnell n’a remarqué ce changement de teinte qu’en 2018, des images satellitaires prouvent que ce phénomène remonte à 2008. « Ce problème se propage peu à peu des petits cours d’eau vers de plus grosses rivières au fil du temps. Et quand des problèmes ou des menaces émergentes se présentent, nous devons être capables de les comprendre », affirme ce dernier.

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Avant-après au niveau de l’Akillik. Ce cours d’eau est un affluent direct de la rivière Kobuk qui se trouve au sein du parc national de Kobuk Valley, en Alaska. Crédits : Jon O’Donnell

Et justement, comment expliquer ce changement de couleur abrupte ?

Bien que les causes ne soient pas claires, les scientifiques attribuent ce problème de rivières rouillées au réchauffement climatique. Dans le parc national de Kobuk Valley, dont les températures ont augmenté de 2,4°C depuis 2006 et qui pourrait prendre 10,2°C de plus d’ici à 2100, il est en effet déjà à l’origine d’une fonte de 40 % du permafrost (un sol habituellement gelé en permanence).

Avec l’exposition à l’eau et à l’oxygène, il se peut que les minerais métalliques dans le sol autrefois congelé aient relâché de l’acidité ainsi que des métaux. Les échantillons prélevés montraient ainsi de forts taux de zinc, de nickel, de cuivre et de cadmium dans les eaux impactées. Le fer reste toutefois le métal le plus présent au sein de prélèvements et pourrait donc être à l’origine de cette teinte orange vif. Ici, la conductivité électrique des sédiments était finalement « plus proche de celle des eaux usées industrielles que de celle d’un ruisseau de montagne ».

Certains chercheurs proposent une autre piste pour expliquer la couleur de l’eau. Elle pourrait en effet être simplement en lien avec la prolifération de bactéries ferreuses, considérées comme non dangereuses pour les espèces aquatiques et l’homme. En cas de dégel du pergélisol en zone humide, ces bactéries pourraient avoir une incidence sur l’état du fer qui, d’abord oxydé (Fe3+) et insoluble deviendrait alors réduit (Fe2+) et soluble dans l’eau. Le transport de fer dans les eaux souterraines pourrait alors les oxyder et leur donner cette couleur orange-verte. Toutefois, les scientifiques ne veulent négliger aucune piste. De plus amples recherches seront donc nécessaires.

Une acidité impressionnante

Reste que certains échantillons affichaient un pH de 2,3 contre un pH de 8 en moyenne dans les rivières. Or, c’est aussi acide que le pH du vinaigre. Cela montre ainsi que les eaux touchées sont beaucoup plus acides que la normale. Les relevés dans la rivière Salmon affichaient un pH de 6,4, soit « environ cent fois plus acide que la rivière dans laquelle le cours d’eau se déversait ».

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Crédits : Ken Hill / Service du parc national de Kobuk Valley

En quoi l’état des rivières est-il une mauvaise nouvelle pour l’Alaska ?

Les chercheurs disposent d’encore un an pour mieux comprendre l’origine du problème après avoir reçu des subventions sur trois ans pour leurs recherches. En tout cas, leurs travaux mettent en exergue des risques très élevés pour l’approvisionnement en eau potable pour les locaux dans les zones rurales comme pour la faune aquatique. « Ces cours d’eau orange peuvent poser des problèmes de toxicité, mais aussi empêcher la migration des poissons vers leur zone de reproduction », s’inquiète notamment Jon O’Donnell. L’étude affirme par ailleurs que cette décoloration s’accompagne d’« un déclin dramatique dans la diversité des macroinvertébrés et sur l’abondance de poissons » et que la forte concentration de fer et de métaux toxiques laisse planer une menace supplémentaire.

Cela pourrait ainsi avoir des conséquences potentiellement désastreuses pour cette région qui compte beaucoup sur ses rivières pour manger, le tourisme et la pêche commerciale. En tout cas, « C’est une zone qui se réchauffe au moins deux à trois fois plus vite que le reste de la planète. On peut donc s’attendre à ce que ce genre d’effet continue », conclut Scott Zolkos, un scientifique à la Woodwell Climate Research Center qui ne fait pas partie de l’équipe de recherche.

Retrouvez l’étude en détail ici.