afrique
Crédits : rweisswald/istock

L’Afrique de l’Est est-elle en train de se fendre en deux ? Ce que révèle une mystérieuse chaleur venue des profondeurs de la Terre

Depuis plusieurs années, les géologues observent avec attention ce qui se passe en Afrique de l’Est. Une immense fracture s’étend sur des milliers de kilomètres, du nord de l’Éthiopie jusqu’au sud du Malawi. À première vue, ce phénomène semble lent et silencieux. Pourtant, en profondeur, une force colossale est à l’œuvre : une gigantesque remontée de roche brûlante, issue des profondeurs de la Terre, pourrait bien finir par déchirer le continent en deux.

Ce processus géologique, connu sous le nom de système de rift est-africain (ou EARS pour East African Rift System), est l’un des plus vastes et actifs au monde. Et selon une récente étude, cette activité serait alimentée non pas par des phénomènes épars, mais par un unique superpanache géant, ancré à la frontière entre le noyau et le manteau terrestre.

Une faille spectaculaire, un enjeu énergétique majeur

Avec ses 6 400 kilomètres de long, le système de rift est-africain traverse une dizaine de pays. Il est marqué par des vallées, des fractures géologiques, une activité sismique importante, et surtout, par un foisonnement volcanique. Des volcans emblématiques comme le Kilimandjaro, le mont Kenya ou le mont Nyiragongo s’élèvent au-dessus de ce vaste système de failles.

Ce décor volcanique n’est pas qu’un terrain d’étude pour les scientifiques : il est aussi une source d’énergie essentielle. Le Kenya, par exemple, tire près de 90 % de son électricité de sources renouvelables, dont une part significative provient de la géothermie. En exploitant la chaleur contenue dans les profondeurs, le pays s’est imposé comme l’un des leaders mondiaux dans ce domaine.

Mais cette exploitation énergétique cache une opportunité inattendue pour la recherche : les forages géothermiques permettent d’accéder à des données exceptionnelles sur les processus géologiques profonds. Et ces dernières années, les découvertes se sont accélérées.

Une signature chimique venue du manteau profond

Dans une étude récente publiée dans Geophysical Research Letters, des chercheurs de l’université de Glasgow se sont penchés sur les gaz nobles présents dans le champ géothermique de Menengai, au Kenya. Parmi eux, un en particulier a attiré leur attention : le néon.

Pourquoi ce gaz ? Parce que les isotopes du néon sont de précieux indicateurs de l’origine des matériaux terrestres. Contrairement à d’autres éléments, le néon conserve intacte la trace de son origine. Et ce que les chercheurs ont trouvé est saisissant : le néon prélevé au Kenya porte la signature chimique du manteau profond, probablement situé à la limite entre le noyau externe et le manteau.

Encore plus intéressant, cette signature a également été retrouvée dans d’autres parties du système de rift, notamment dans les basaltes du panache Afar en Éthiopie et dans la vallée du Rift occidental, entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Conclusion : il ne s’agit pas de phénomènes locaux, mais bien d’une activité liée à un même réservoir géothermique géant, en profondeur.

rift Afrique
Rendu numérique du rift Albertin, qui forme la branche occidentale du rift est-africain. Crédits : Christoph Hormann

Une force géologique qui modèle le continent

Pour les auteurs de l’étude, ces résultats confortent une hypothèse majeure : celle d’un superpanache unique, une remontée massive de roche chaude qui soulève littéralement la croûte terrestre africaine, et contribue à la mise en tension du continent.

Selon Fin Stuart, géochimiste et auteur principal de l’étude, ce panache joue un rôle déterminant dans l’altitude exceptionnelle de l’Afrique de l’Est, placée plusieurs centaines de mètres au-dessus de la normale, et dans la dynamique de l’ouverture du rift. Il contribuerait ainsi directement à l’écartement des plaques tectoniques, lentement mais inexorablement.

Une étude complémentaire menée en 2023 par Virginia Tech apporte un autre indice : dans certaines zones du rift, les déformations de la croûte ne sont pas perpendiculaires aux failles, comme on l’attendrait, mais parallèles. Ce comportement étrange ne s’expliquerait que par un écoulement de magma alimenté en profondeur, en lien avec le superpanache.

L’Afrique va-t-elle se briser en deux ?

Pour l’instant, le rift est-africain semble stable à l’échelle humaine. Mais à l’échelle géologique, il est en pleine transformation. Les forces à l’œuvre pourraient, à terme, séparer définitivement l’Afrique de l’Est du reste du continent, créant ainsi un nouvel océan entre les deux masses terrestres.

Ce scénario est encore hypothétique. Toutes les failles ne mènent pas à une rupture océanique. Mais les indices géophysiques, géochimiques et géologiques convergent de plus en plus vers cette possibilité.

Une opportunité scientifique… et énergétique

Ce qui se joue sous l’Afrique de l’Est dépasse donc le cadre d’un simple phénomène géologique. C’est une fenêtre ouverte sur les dynamiques internes de notre planète, un terrain d’expérimentation scientifique rare, et un levier de développement énergétique crucial pour les pays de la région.

Dans les entrailles de la Terre, les réponses à de nombreuses questions fondamentales sur l’évolution des continents et la formation des océans sont peut-être déjà là. Il reste à les écouter.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.