Thorin néandertaliens
Ludovic Slimak, co-premier auteur et découvreur de Thorin, tenant l'os maxillaire du mystérieux Néandertalien. Crédits : Laure Metz

Ce que nous dit l’ADN de Thorin, l’un des derniers Néandertaliens

Une découverte archéologique majeure vient bouleverser nos connaissances sur les Néandertaliens. Un individu surnommé Thorin aurait vécu en marge de ses congénères pendant des millénaires, isolé dans une grotte du sud de la France. Cette découverte, publiée dans la revue Cell Genomics, révèle un pan méconnu de l’histoire de nos cousins disparus.

Thorin, un solitaire dans un monde en mouvement

Pendant longtemps, les scientifiques pensaient que les Néandertaliens, ces cousins disparus de l’Homme moderne, formaient une population relativement homogène à travers l’Europe. On imaginait des groupes qui se déplaçaient et se mélangeaient en partageant un patrimoine génétique commun.

Cette croyance était fondée sur plusieurs éléments. Tout d’abord, les premières études génétiques sur les Néandertaliens, bien que limitées par les technologies de l’époque, suggéraient une certaine homogénéité au sein de l’espèce. Les différences observées étaient interprétées comme des variations naturelles au sein d’une même population. Les fossiles de Néandertaliens ont également été découverts sur une vaste étendue géographique en Europe. Cette large répartition semblait donc indiquer une population mobile et interconnectée. Enfin, les outils et les objets trouvés dans les sites néandertaliens présentaient des similitudes sur de grandes distances, ce qui suggérait l’existence d’une culture matérielle relativement uniforme et partagée par tous les Néandertaliens.

La découverte de Thorin dans la grotte Mandrin vient cependant bouleverser cette vision. Ce néandertalien, qui aurait vécu il y a environ 42 000 ans, appartenait en effet à une lignée restée visiblement isolée des autres populations néandertaliennes pendant près de 50 000 ans. « C’est comme si Thorin et son groupe avaient vécu sur une île déserte génétique« , explique Ludovic Slimak, le principal auteur de l’étude. Alors que les autres populations de Néandertaliens évoluaient et se mêlaient, celles de la grotte Mandrin sont restées fidèles à leurs traditions en développant des outils et des comportements spécifiques.

Une analyse minutieuse

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont utilisé une combinaison de techniques scientifiques très pointues. Tout d’abord, ils ont prélevé un échantillon de l’os de Thorin, plus précisément de sa dent, pour en extraire l’ADN. Les chercheurs l’ont ensuite séquencé (déterminé l’ordre exact des bases qui le composent), puis ils l’ont comparé avec ceux d’autres Néandertaliens dont l’ADN avait déjà été séquencé. En analysant les différences et les similitudes entre ces génomes, les chercheurs ont alors pu reconstituer l’arbre généalogique des Néandertaliens et identifier les différentes lignées.

En étudiant la diversité génétique au sein du génome de Thorin, les chercheurs ont également constaté qu’elle était très faible. Cela signifie que la population dont il était issu était petite et avait subi peu de brassage génétique. Enfin, en combinant l’analyse génétique avec des méthodes de datation, comme la datation au carbone 14, les chercheurs ont pu estimer l’âge de Thorin et déterminer la période pendant laquelle son groupe a vécu en isolement.

Thorin néandertaliens
Des chercheurs ont utilisé une partie de la racine d’une des molaires de Thorin pour déterminer qu’il était un homme et pour générer une séquence du génome entier. Crédits : Ludovik Slimak

Les clés d’une énigme

Cette découverte a des implications majeures pour notre compréhension de l’évolution des Néandertaliens. Elle suggère en effet que ces derniers étaient beaucoup plus diversifiés qu’on ne le pensait, avec des populations isolées développant leurs propres caractéristiques génétiques et culturelles. Il est possible que de nombreux autres groupes d’Hommes de Neandertal aient vécu en marge des populations principales, laissant alors peu de traces dans le registre fossile. Cette nouvelle donne nous oblige à repenser les causes de la disparition des Néandertaliens. Si certaines populations étaient isolées et fragilisées génétiquement, elles auraient en effet été plus vulnérables aux changements environnementaux ou aux contacts avec les Homo sapiens.

Cette découverte soulève néanmoins aussi de nombreuses questions : pourquoi ce groupe s’est-il isolé ? Quelles étaient les raisons de cette rupture ? Et comment expliquer la disparition de ces populations alors que d’autres Néandertaliens vivaient à proximité ? Les chercheurs avancent plusieurs hypothèses. Les changements climatiques, les catastrophes naturelles ou encore des conflits avec d’autres groupes humains pourraient avoir contraint ces Néandertaliens à se réfugier dans cette grotte et à y rester isolés.

Cette découverte est donc une nouvelle pièce du puzzle de l’évolution humaine qui nous rappelle que l’histoire de notre espèce est bien plus complexe et nuancée que ce que l’on imaginait auparavant.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.