ADN âge de fer femmes
Crédits : Université de Bournemouth

De l’ADN de l’Âge du Fer révèle que les femmes dominaient la Grande-Bretagne pré-romaine

Des Néandertaliens aux cours royales, l’histoire regorge d’exemples de femmes qui quittent leur foyer pour rejoindre celui de leur époux. Cependant, des chercheurs ont découvert qu’au sein des communautés celtes de Grande-Bretagne, la situation était inversée. En étudiant des sites de l’âge du fer, notamment en Cornouailles, dans le Dorset et le Yorkshire, des chercheurs du Trinity College de Dublin ont en effet remarqué que la société de cette époque était centrée sur les femmes qui héritaient des terres et faisaient venir leurs maris vivre chez elles.

L’ADN de l’Âge du Fer à l’origine d’une découverte surprenante

L’examen d’ADN ancien provenant de 57 sépultures du Dorset, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a révélé des résultats inattendus. La majorité des individus étudiés étaient associés à la tribu celtique des Durotriges qui occupait la côte sud de la Grande-Bretagne entre environ 100 av. J.-C. et 100 apr. J.-C. Or, les résultats montrent que deux tiers des individus descendaient d’une seule lignée maternelle tandis que 80 % des membres non apparentés à la famille étaient des hommes.

« Cela nous indique que les maris rejoignaient les communautés de leurs épouses après le mariage, les terres étant potentiellement transmises par la lignée féminine », explique Lara Cassidy, généticienne et co-autrice de l’étude. « C’est la première fois qu’un tel système est documenté dans la préhistoire européenne et cela suggère un pouvoir social et politique des femmes. »

Sépulture d'une jeune femme de l'Âge du Fer échantillonnée pour l'analyse ADN  par l'étude
Sépulture d’une jeune femme de l’Âge du Fer échantillonnée pour l’analyse ADN enterrée avec un miroir (panneaux de droite) et des bijoux, dont un pendentif fabriqué à partir d’une pièce de monnaie romaine qui représente une femme aurige symbolisant la Victoire. Crédits : Université de Bournemouth

Un modèle matrilocal, mais pas matriarcal

Les conclusions, publiées le 15 janvier dans la revue Nature, indiquent que les femmes restaient généralement dans leur communauté d’origine toute leur vie où elles préservaient ainsi leurs réseaux sociaux en plus de probablement hériter ou de gérer des terres comme des biens familiaux. Pendant ce temps, « c’est le mari qui devient un étranger relatif, dépendant de la famille de son épouse pour les terres et les moyens de subsistance », précise la chercheuse. Or, c’est passionnant, car ce modèle, appelé matrilocalité, est historiquement rare.

« Il est possible qu’à certaines périodes, la matrilocalité ait été bien plus répandue, ce qui influence profondément notre perception du rôle des femmes dans le passé », ajoute Cassidy. « Nous avons souvent tendance à réduire les femmes du passé à la sphère domestique, sans réel pouvoir. Or, cette étude prouve que ce n’était pas du tout le cas. Dans de nombreuses sociétés, aujourd’hui comme dans le passé, les femmes exercent une influence et un pouvoir considérables. »

Un cas pas si unique que cela localement à l’Âge du Fer

La fouille du site du Dorset a été menée par des archéologues de l’Université de Bournemouth, tandis que l’étude génétique a été réalisée par des chercheurs du Trinity College de Dublin. Pour comparer les résultats du Dorset au reste de la Grande-Bretagne, Lara Cassidy et son équipe ont analysé l’ADN provenant de 157 sites archéologiques de l’Âge du Fer utilisés avant et après l’invasion romaine de 43 apr. J.-C.

Les cimetières celtes sont rares et contiennent généralement moins de sépultures que celui du Dorset. Cependant, plusieurs exemples de sociétés matrilocales ont été identifiés, notamment grâce à l’analyse de l’ADN mitochondrial, transmis exclusivement par la lignée maternelle. Par exemple, dans un cimetière du Yorkshire, une lignée maternelle dominante remontait à avant 400 av. J.-C. « Un tel modèle matrilocal n’a jamais été décrit dans la préhistoire européenne, mais lorsque nous comparons la variation des haplotypes mitochondriaux dans des sites archéologiques européens qui couvrent six millénaires, les cimetières de l’âge du fer britannique se démarquent par une faible diversité, attribuable à la présence de lignées maternelles dominantes », écrivent les auteurs de l’étude.

Toutefois, les chercheurs insistent sur un point : ‘matrilocalité’ ne signifie pas ‘matriarcat’ et les hommes pouvaient également occuper des postes d’autorité. Cependant, cela indique que les femmes avaient probablement un certain contrôle sur les terres et les biens ainsi qu’un fort soutien social, ce qui rendait la société celte britannique « plus égalitaire que le monde romain » selon Miles Russell, co-auteur de l’étude et archéologue à l’Université de Bournemouth.

Une rupture avec les normes qui a pu choquer ou questionner

Monument de Boadicea (Victoire) sur le pont de Westminster, Londres, Royaume-Uni Boadicée Boudica reine guerrière celte
Statue de Boadicée à Londres. Crédits : Elena Zolotova/iStock

En arrivant sur ces nouvelles terres, les Romains « furent stupéfaits de voir des femmes occuper des positions de pouvoir », explique Russell. Le fait de voir des femmes qui pouvaient hériter de biens ou même divorcer était en effet nouveau. Sur les sites archéologiques, les tombes féminines étaient aussi souvent les plus richement ornées, ce qui témoigne d’un statut élevé dans la société. Les femmes menaient également parfois des armées, à l’instar de Boadicée, une célèbre reine guerrière qui a mené une révolte contre les Romains, et décrite par l’historien romain Dion Cassius comme « extrêmement redoutable » et « possédant une intelligence supérieure à celle habituellement attribuée aux femmes ».

Certains chercheurs ont toutefois douté de ces récits, suggérant que « les Romains auraient exagéré les libertés accordées aux femmes britanniques pour dépeindre une société sauvage et indomptée », précise-t-il à l’AFP. « Cependant, l’archéologie et désormais la génétique montrent que les femmes exerçaient bel et bien une influence dans de nombreux domaines de la vie de l’Âge du Fer. Il est même possible que la lignée maternelle ait été le principal vecteur d’identité de groupe. »

Dans un commentaire indépendant publié dans Nature, l’anthropologue évolutionniste Guido Alberto Gnecchi-Ruscone estime quant à lui que les preuves sont « convaincantes » et que la matrilocalité semble avoir été « largement répandue sur l’île et pratiquée pendant des siècles ». Il conclut en affirmant que la recherche génétique valide l’idée que les femmes jouaient un rôle central dans la société celte britannique. Un rappel s’il en fallait que l’histoire est peut-être écrite par les vainqueurs, mais que les gènes racontent eux aussi des histoires…

Retrouvez l’étude ici.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.