Les 1,5 °C de l’Accord de Paris sont-ils déjà engagés par nos émissions passées de GES ?

terre réchauffement climatique
Crédits : Pixabay

Selon une étude dirigée par l’Université de Washington (États-Unis), le réchauffement déjà engagé par nos émissions passées de gaz à effet de serre (GES) oblige à revoir à la baisse la quantité de carbone que nos sociétés peuvent encore mettre dans l’atmosphère si nous tenons à respecter les engagements de l’Accord de Paris sur le climat. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Climate Change le 6 juin dernier.

Deux grandes sortes de composés sont émis dans l’atmosphère par les activités humaines : des gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone (CO2), le protoxyde d’azote (N2O) ou le méthane (CH4) et de petites particules solides ou liquides appelées aérosols. Or, ces deux groupes de composés ont des impacts diamétralement opposés sur le système climatique.

Entre GES et aérosols, un combat inégal

Si les premiers provoquent un réchauffement global en empêchant la Terre de se refroidir facilement par émission de rayonnement infrarouge vers l’espace, les seconds diminuent à l’inverse la température moyenne du globe en réfléchissant le rayonnement solaire incident un peu comme le font les zones enneigées. Notons toutefois qu’il n’existe pas de symétrie entre les deux influences.

En effet, une fois émis dans l’atmosphère, les gaz à effet de serre ont un temps de résidence allant de quelques décennies à plusieurs siècles tandis que les aérosols sont éliminés en quelques semaines. L’effet cumulatif des GES explique ainsi pourquoi le réchauffement l’emporte largement sur le refroidissement. Il explique également pourquoi les GES, qui ont le temps de se mélanger, influencent le climat de façon globale alors que les aérosols ont surtout un impact régional.

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Le réchauffement observé (noir) est la somme d’un réchauffement supérieur associé aux GES (rouge) et d’un refroidissement associé aux aérosols (bleu). Crédits : Chris Smith & coll. 2018.

Un effort à intensifier en termes de budget carbone

Dans une nouvelle étude, une équipe de chercheurs a tenté d’évaluer l’ampleur du réchauffement global déjà engagé par nos émissions passées. Autrement dit, ils ont estimé de combien la température moyenne mondiale s’élèverait si nous arrêtions dès demain toutes nos émissions. Alors que les travaux antérieurs n’ont abordé la question que sous l’angle du CO2, la présente étude considère pour la première fois l’ensemble des composés émis par les activités humaines, aérosols compris.

Les résultats montrent qu’avec un arrêt total des émissions en 2021, il existe une probabilité de 42 % de dépasser temporairement les 1,5 °C. Dans le cas d’une poursuite des émissions au rythme actuel avec un arrêt en 2029, ce chiffre passe à 66 %. Enfin, si à ce stade la probabilité de dépasser les 2 °C n’est que de 2 %, elle atteint 66 % pour un arrêt intervenant en 2057. Bien entendu, l’hypothèse d’une interruption brutale des émissions est irréaliste, mais elle permet d’évaluer très concrètement l’ampleur du réchauffement minimal déjà engagé.

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Représentation graphique de l’évolution de la température mondiale avec arrêt de toutes les émissions en 2021 (courbe en traits tiretés). La courbe en pointillés montre le résultat du seul arrêt des émissions de CO2 (les aérosols sont maintenus, de même que les autres gaz à effet de serre). Enfin, la courbe orange représente le réchauffement dans un scénario de poursuite des émissions à un rythme proche de l’actuel. Les marges représentent les incertitudes liées aux modèles et à la variabilité naturelle du climat qui obligent à raisonner en termes de probabilités. Crédits : M. T. Dvorak & coll. 2022.

La notion de ‘dépassement transitoire’

Un point central de l’étude est la notion de dépassement transitoire des seuils évoqués plus haut. En effet, après arrêt des émissions, on observe une hausse rapide des températures d’environ 0,2 °C sur dix à vingt ans, correspondant à la disparition des aérosols qui masquaient une partie du réchauffement. Ce pic est suivi d’un lent refroidissement qui concrétise l’absorption progressive des gaz à effet de serre par les puits naturels, en particulier pour le CH4 et le N2O.

Un second point à souligner est qu’en raison du caractère transitoire du pic de réchauffement, il n’y a pas forcément de contradiction entre un objectif fixé à 1,5 °C ou 2 °C en 2100 et un dépassement survenant avant cette date. Toutefois, en considérant l’inertie de nos sociétés, il semble désormais improbable de parvenir à limiter le réchauffement de long terme à 1,5 °C. De son côté, l’objectif des 2 °C est encore possible, bien qu’impliquant des efforts structurels, organisationnels et sociopolitiques considérables.

« Cet article se penche sur le réchauffement temporaire qui ne peut être évité, et c’est important si l’on pense aux éléments du système climatique qui réagissent rapidement aux changements de température globale, notamment la glace de mer de l’Arctique, les événements extrêmes tels que les vagues de chaleur ou les inondations, ainsi que de nombreux écosystèmes », rapporte Kyle Armour, l’un des coauteurs de l’étude.