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À 7 ans, votre enfant maîtrise déjà cette arme à double tranchant que vous utilisez (presque) tous les jours

Hier soir, vous avez peut-être évité d’ouvrir cette facture inquiétante, détourné le regard des actualités alarmantes, ou reporté ce coup de fil délicat. Ce matin, vous avez probablement ignoré la notification de votre application bancaire ou esquivé la conversation sur vos résultats médicaux. Cette capacité à fuir sélectivement l’information dérangeante, vous la pratiquez quotidiennement sans même vous en rendre compte. Une équipe de chercheurs de l’Université de Chicago vient de faire une découverte troublante : votre enfant de 7 ans maîtrise déjà cette même stratégie psychologique avec une sophistication qui rivalise avec la vôtre. Cette arme à double tranchant, à la fois protection mentale et piège cognitif, se développe bien plus tôt qu’on ne l’imaginait.

Le paradoxe de la curiosité perdue

Tous les parents le savent : les jeunes enfants sont des machines à questions. « Pourquoi le ciel est bleu ? », « Comment marchent les voitures ? », « Où vont les fourmis ? » Cette soif insatiable de savoir semble être une caractéristique fondamentale de l’enfance. Pourtant, quelque part entre l’école primaire et l’âge adulte, cette curiosité naturelle se transforme en quelque chose de radicalement différent.

Les adultes excellent dans l’art d’éviter les informations dérangeantes. Ils reportent leurs rendez-vous médicaux, ignorent les relevés bancaires inquiétants, et détournent le regard des nouvelles alarmantes. Les psychologues appellent ce comportement « l’effet autruche », en référence à la croyance populaire selon laquelle ces oiseaux enfouissent leur tête dans le sable face au danger.

Radhika Santhanagopalan, chercheuse postdoctorale à l’Université de Chicago, s’est interrogée sur cette transformation apparemment contradictoire. Comment passons-nous de l’appétit vorace d’informations de l’enfance à l’évitement stratégique de l’âge adulte ?

L’expérience qui révèle tout

Pour élucider ce mystère, l’équipe de recherche a conçu une série d’expériences ingénieuses impliquant des enfants de 5 à 10 ans. Ils ont identifié cinq motivations principales qui poussent les adultes à éviter l’information : la protection contre les émotions négatives, la préservation de l’estime de soi, la défense des croyances personnelles, la sauvegarde des préférences, et l’intérêt personnel.

L’une des expériences les plus révélatrices concernait les bonbons. Chaque enfant devait identifier son bonbon préféré et celui qu’il aimait le moins. Les chercheurs proposaient ensuite de leur montrer une vidéo expliquant pourquoi ces bonbons étaient mauvais pour les dents.

Les résultats ont été saisissants. Tandis que les enfants de 5 et 6 ans manifestaient une curiosité égale pour les deux vidéos, les enfants plus âgés montraient une préférence claire : ils évitaient d’apprendre pourquoi leur bonbon favori était nocif, mais acceptaient volontiers de découvrir les méfaits de celui qu’ils n’aimaient pas.

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Le tournant des 7 ans

Cette transition comportementale semble s’opérer autour de 7-8 ans, âge où les enfants développent une compréhension plus sophistiquée des conséquences émotionnelles de l’information. Ils réalisent intuitivement qu’apprendre certaines vérités peut générer de l’inconfort, de la déception ou de l’anxiété.

Curieusement, une exception notable est apparue dans les résultats : tous les enfants, quel que soit leur âge, acceptaient d’apprendre leurs échecs scolaires. Santhanagopalan attribue ce phénomène à l’environnement éducatif moderne qui encourage un « état d’esprit de développement ». Les enfants intériorisent l’idée qu’ils peuvent améliorer leurs performances grâce à l’effort, rendant l’information sur leurs faiblesses potentiellement utile plutôt que simplement démoralisante.

L’apprentissage de la malhonnêteté morale

L’étude révèle également comment les enfants développent ce que les chercheurs appellent la « marge de manœuvre morale » – la capacité d’exploiter l’ambiguïté pour agir dans son propre intérêt tout en préservant l’illusion d’être juste.

Dans une expérience particulièrement éclairante, les enfants devaient choisir entre deux seaux d’autocollants. Ils voyaient que le seau A leur offrait plus d’autocollants que le seau B, mais le nombre d’autocollants destinés à leur partenaire restait caché. Avant de choisir, on leur proposait de connaître cette information.

Les enfants plus âgés évitaient systématiquement d’apprendre combien d’autocollants leur partenaire recevrait. Cette ignorance volontaire leur permettait de choisir le seau le plus avantageux pour eux sans ressentir de culpabilité, puisqu’ils ne savaient pas explicitement qu’ils désavantageaient leur partenaire.

Les implications de cette découverte

Cette recherche révèle que l’évitement d’information n’est pas simplement un défaut des adultes stressés, mais une stratégie cognitive sophistiquée qui émerge dès l’enfance. Elle soulève des questions importantes sur l’éducation et le développement moral.

D’un côté, cette capacité d’évitement peut servir de mécanisme de protection psychologique, nous préservant d’un excès d’informations négatives potentiellement paralysantes. De l’autre, elle peut conduire à des décisions irrationnelles, à la polarisation politique, et à la rigidité idéologique.

Retrouver la curiosité perdue

Santhanagopalan suggère plusieurs stratégies pour contrer cette tendance naturelle. La première consiste à prendre conscience de nos motivations d’évitement et à questionner si le confort à court terme vaut les conséquences à long terme de l’ignorance.

Elle recommande également de recadrer les informations dérangeantes comme des outils précieux pour prendre de meilleures décisions, et d’apprendre à tolérer l’incertitude plutôt que de la fuir.

Mais son conseil le plus simple est peut-être le plus profond : imiter ce que les jeunes enfants font naturellement. Suivre sa curiosité, poser des questions inconfortables, et accepter que la vérité, même dérangeante, reste généralement préférable à l’illusion rassurante de l’ignorance.

Cette recherche nous rappelle que grandir, c’est parfois apprendre à désapprendre – notamment cette formidable capacité d’émerveillement et de questionnement qui caractérise nos premières années.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.