La déforestation pour l’agriculture, l’artificialisation des espaces forestiers ou encore pour alimenter le marché du bois n’implique pas que la perte d’arbres, la mise en danger de nos ressources en eau et l’appauvrissement des sols. Sources d’habitat, de nourriture et de protection tant contre les prédateurs que l’aggravation du changement climatique et des catastrophes associées, les forêts soutiennent en effet des écosystèmes entiers et près de 80 % des espèces terrestres en dépendent, tant du côté de la faune que de la flore. D’après une étude, elle pourrait notamment avoir des effets dévastateurs sur les populations de lézards à l’échelle mondiale.
Les lézards ont un besoin vital des forêts
Lorsque les températures estivales grimpent, il n’est pas rare de voir une nuée de randonneurs se rendre dans les montagnes pour profiter de l’air frais, à l’abri des arbres. Toutefois, les humains ne sont pas les seuls animaux à y chercher refuge quand la chaleur de l’été se fait trop forte. Les forêts sont de véritables sanctuaires pour tous les animaux qui dépendent des arbres tels que les lézards. Lorsqu’il fait trop chaud ou trop froid, les mammifères peuvent en effet mettre en place de nombreuses stratégies pour réguler leur température corporelle. Toutefois, les créatures à sang froid ont quant à elles moins de techniques de thermorégulation. Les lézards peuvent heureusement se déplacer le long du tronc pour se prélasser au soleil lorsqu’ils ont besoin de chaleur ou au contraire monter plus haut ou se mettre à l’ombre lorsque le sol devient trop chaud ou la canicule trop forte.
Comme l’explique Keith Musselman, l’un des coauteurs de l’étude qui travaille pour l’Université du Colorado-Boulder : « Ce qui est intéressant chez les lézards, c’est qu’ils ont juste besoin de bouger sur une courte distance autour du tronc de l’arbre pour avoir accès à un climat et un environnement d’habitat très différents. Ces microhabitats sont particulièrement importants quand on pense à la manière dont on modifie l’environnement naturel et prendre des décisions en matière de conservation. »
L’étude publiée dans le journal Nature Climate Change le 5 mars visait justement à étudier cela. Il est en effet bien connu que la fragmentation et la perte d’habitats liée à la déforestation sont une menace majeure pour la biodiversité. Néanmoins, si beaucoup de travaux scientifiques ont déjà évoqué les risques liés à la déforestation sur les populations animales, peu ont en revanche considéré le rôle thermorégulatoire de microhabitats tels que les arbres et comment leur perte pouvait changer l’avenir de certaines espèces. Or, ces recherches (menées conjointement par l’Université du Colorado-Boulder et l’Université de Tel-Aviv) affirment que la déforestation associée au changement climatique pouvait affecter négativement 84 % des lézards nord-américains d’ici la fin du siècle. Les chercheurs vont plus loin. D’après leurs conclusions, près d’un lézard sur cinq pourrait voir sa population décliner.

Les effets du changement climatique associés à la déforestation
Pour obtenir ces informations, les scientifiques ont eu recours à des simulations informatiques. Cela a permis de montrer dans un premier temps que le réchauffement climatique pouvait avoir un effet bénéfique sur les lézards nord-américains qui vivaient dans les régions les plus fraîches ou à des latitudes plus élevées. Un climat plus chaud leur permet en effet de rester actifs plus longtemps dans la journée. Ils peuvent ainsi chercher de la nourriture ou un partenaire d’accouplement plus facilement au cours de la journée.
Toutefois, la déforestation réduit à néant ces effets bénéfiques et peut même les inverser pour 66 % des populations de lézards étudiées en réduisant leurs opportunités de trouver de l’ombre pour se rafraîchir. Les simulations obtenues par l’équipe montrent effectivement que sans les arbres, le temps d’activité de ces animaux subirait alors une réduction de 34 % d’ici la fin du siècle et qu’ils seraient dépendants des roches et grottes pour éviter une surchauffe. Dans les régions les plus chaudes, les effets seraient les plus négatifs, la chaleur au sol pouvant alors empêcher toute forme d’activité. Ces travaux estiment aussi que la destruction des forêts accélérerait le déclin de ces populations de 18 %.
Comme l’explique Ofir Levy, l’un des trois auteurs de l’étude et zoologiste à l’Université de Tel-Aviv, « notre travail apporte un nouvel aperçu des mécanismes par lesquels la déforestation peut causer des déclins de population face au changement climatique. Le déclin des lézards pourrait mener à une réaction en chaîne étant donné qu’ils sont une part importante de presque tout système écologique. »
La déforestation mondiale continue sa course effrénée

Bien que quelques voix s’élèvent pour stopper ou au moins diminuer la destruction des forêts, le défrichage se poursuit inlassablement. Ainsi, entre 2001 et 2022, près de 459 millions d’hectares (ou 12 % du couvert végétal) ont définitivement disparu. Omer Zlotnick, le principal auteur de l’étude et doctorant à l’Université de Tel-Aviv, estime cependant que bien qu’il s’agisse d’un problème mondial, ces « conclusions peuvent aider les dirigeants sur les autres continents à élaborer des politiques de conservation et des programmes de restauration des habitats qui prennent en considération le changement climatique. »
Dans Phys, les chercheurs rappellent en outre que les lézards souffrent déjà des effets du changement climatique. Une autre étude estimait par exemple que 54 % des populations de lézards au Mexique vont s’éteindre d’ici 2080, faute de pouvoir s’adapter aux températures qui augmentent. Les présents travaux montrent que la perte des arbres pourrait exacerber cette menace et infliger une pression supplémentaire en privant ces animaux de leurs refuges. « Ici, dans les Rocheuses, l’altitude offre une échappatoire aux animaux qui peuvent parcourir de plus longues distances, humains inclus. […]. Néanmoins, les petits animaux comme les lézards ne peuvent pas aller loin. Ils dépendent fortement du refuge fourni par le paysage local, notamment les troncs d’arbre. L’étude souligne l’importance de comprendre quels éléments dans l’environnement peuvent servir de refuges pour les autres organismes sur cette planète », conclut Musselman.
Envie d’en savoir plus ? Vous pouvez consulter l’étude complète sur ce lien.