C’est un peu comme découvrir une nouvelle pièce dans une maison qu’on pensait connaître par cœur. Après des décennies de spéculations théoriques, des chercheurs ont enfin observé un phénomène quantique aussi insaisissable que fascinant : la transition de phase superradiante, ou SRPT pour les intimes. Un état inédit de la matière, prédit pour la première fois dans les années 1950, et qui pourrait ouvrir la voie à des ordinateurs quantiques plus puissants, plus fiables et plus précis.
Alors, c’est quoi exactement cette découverte, et pourquoi tant d’agitation dans le monde de la physique ? On vous explique.
Une vieille prédiction (très) difficile à prouver
Tout commence en 1954, quand le physicien Robert H. Dicke propose une idée intrigante : dans certaines conditions, un grand groupe d’atomes excités pourrait émettre de la lumière non pas chacun dans son coin, mais de manière parfaitement synchronisée. Ce phénomène, appelé superradiance, avait de quoi faire rêver. Mieux encore, Dicke théorise qu’en poussant un système suffisamment loin, cette émission coordonnée pourrait entraîner une transition de phase complète – un peu comme quand l’eau devient glace – pour former un nouvel état collectif de la matière : la fameuse SRPT.
Mais pendant des décennies, cette hypothèse reste coincée dans les équations. La raison ? Une série d’obstacles théoriques et techniques, notamment le fameux « théorème de non-gouvernance » qui empêche ce type de transition dans les systèmes lumineux classiques. Bref, la SRPT semblait condamnée à rester un joli fantasme de physicien.
Une percée dans un cristal gelé
Jusqu’à aujourd’hui.
Le 4 avril 2025, une étude publiée dans la revue Science Advances annonce que des chercheurs de l’Université Rice (États-Unis) sont parvenus à induire et observer une SRPT dans un matériau solide.
Leur recette ? Un cristal composé d’erbium, de fer et d’oxygène, refroidi à -271,67 °C (c’est-à-dire à quelques millièmes de degré du zéro absolu), et soumis à un champ magnétique plus de 100 000 fois plus fort que celui de la Terre. Autant dire : un environnement extrême.
Dans ce cadre, les chercheurs ont observé que deux sous-systèmes de particules – les ions fer et les ions erbium du cristal – entraient dans une phase de fluctuations collectives parfaitement coordonnées. Exactement ce que prédisait le modèle de Dicke. Sauf qu’ici, les interactions ne se faisaient pas via la lumière, mais via des ondes magnétiques appelées magnons.
Des magnons à la rescousse
Mais qu’est-ce qu’un magnon ? Il s’agit d’un type d’excitation collective dans un matériau magnétique, une sorte d’onde qui parcourt les spins (le moment magnétique des particules). Dans cette expérience, les magnons créés par les ions feront joué le rôle habituellement dévolu aux fluctuations du vide quantique, ce qui a permis de contourner les limites théoriques qui empêchaient la SRPT jusqu’ici.
Résultat : les chercheurs ont observé des changements très nets dans les signaux énergétiques du cristal, indiquant qu’il avait bel et bien basculé dans ce nouvel état collectif.
Et maintenant, à quoi ça sert ?
Au-delà de la performance théorique, cette découverte pourrait bien avoir des implications concrètes majeures. Notamment dans un domaine qui agite scientifiques et industriels depuis plusieurs années : l’informatique quantique.
Pourquoi ? Parce que la SRPT permet de stabiliser naturellement des états dits « quantiques comprimés », où le bruit quantique – ce fléau qui perturbe les mesures et rend les qubits si capricieux – est fortement réduit.
En clair, cela pourrait permettre :
Des qubits plus stables, moins sensibles aux erreurs ;
Des mesures plus précises, utiles pour des capteurs quantiques ou des expériences ultra-sensibles ;
Et potentiellement, des portes logiques plus rapides pour faire tourner les futurs ordinateurs quantiques.
Un état collectif protecteur
L’autre grand avantage de ce phénomène, c’est son caractère collectif. Parce qu’il met en jeu un grand nombre de particules synchronisées, la SRPT pourrait offrir une forme de protection intégrée contre la décohérence, l’un des grands ennemis des technologies quantiques actuelles.
Au lieu de gérer des qubits un par un, les ingénieurs pourraient s’appuyer sur des systèmes qui se stabilisent d’eux-mêmes grâce à leurs interactions internes. Une approche prometteuse, à la fois pour la fiabilité, la durée de vie des informations quantiques et la miniaturisation des futurs processeurs.
Un nouvel horizon quantique
Bien sûr, on n’en est qu’aux débuts. L’observation de la SRPT est une étape fondamentale, mais il reste du chemin avant qu’elle ne devienne un outil industriel. Cela dit, comme le souligne Dasom Kim, co-auteur de l’étude, « cette découverte pourrait révolutionner les capteurs et les technologies informatiques quantiques, en améliorant considérablement leur fidélité, leur sensibilité et leurs performances ».
Et quand on connaît les enjeux autour de la course au quantique – du climat à la cybersécurité – on se dit que cette vieille théorie sortie du placard pourrait bien être l’une des plus grandes surprises scientifiques de la décennie.