Des psychologues ont reproduit la fameuse expérience des chocs électriques de Stanley Milgram, l’une des expériences les plus controversées de ces cinquante dernières années. Alors, obéir ou résister ? Les résultats sont toujours les mêmes un demi-siècle plus tard.
Jusqu’où peut-on manipuler un homme ? L’expérience de psychologie conduite par Stanley Milgram entre 1960 et 1963 à l’université Yale de New Haven, aux États-Unis, avait pour objectif de comprendre et de mesurer comment un homme pouvait obéir à un ordre contraire à sa morale. Le but était d’expliquer comment des hommes civilisés avaient été menés à commettre des actes ignobles en obéissant avec docilité aux ordres de leurs supérieurs durant la Seconde Guerre mondiale.
Au cours de cette expérience, Milgram invitait des sujets par groupe de deux. Après tirage au sort, l’un se voyait affublé du rôle de maître et l’autre de celui d’élève. Avec cette expérience, le but était de comprendre par quel processus psychologique des personnes normales pouvaient être amenées à torturer leurs semblables en se dégageant naturellement de leur responsabilité par soumission à une autorité supérieure. La personne adoptant le rôle d’« enseignant » apprenait à l’« élève » à mémoriser des mots en présence d’un expérimentateur administrant des décharges électriques en cas d’erreur. Chaque réponse incorrecte entraînait une décharge d’une puissance de plus en plus importante, allant de 15 à 450 volts (la tension toujours plus élevée à chaque erreur).
En réalité, l’élève n’est ici qu’un acteur et que les décharges électriques sont factices. Au cours de l’exercice, malgré les cris effrayants et le visage douloureux de la personne soumise, le moniteur pris par le jeu va poursuivre « la torture » jusqu’à administrer à son élève des doses de voltage qui auraient pu lui causer la mort en réalité. L’expérience a démontré que 63 % des sujets se sont montrés obéissants à leurs « chefs » et ont administré jusqu’à 405 volts à leurs « victimes ». Débriefés un mois plus tard pour expliquer et justifier leurs actes, la plupart avaient alors avoué avoir obéi d’instinct, faisant confiance à l’autorité « scientifique ».
Cette expérience prouvant que la majorité des gens sont prêts à faire du mal à des personnes innocentes sur l’ordre d’un supérieur a longtemps été controversée, certains affirmant que ce test pouvait aboutir à des résultats différents dans les pays qui n’ont jamais été totalitaires (comme les États-Unis) et dans les États se trouvant tout récemment encore sous l’emprise du totalitarisme (comme la Pologne). Pour tenter de vérifier l’expérience, Tomasz Grzyb et ses collègues, de l’Université SWPS des sciences sociales et humaines en Pologne ont recruté 80 participants (40 hommes et 40 femmes) âgés de 18 à 69. Les résultats ont été publiés dans la revue Social Psychological and Personality Science.
Comme pour les tests de Milgram, les volontaires ont été encouragés par un examinateur à choquer quelqu’un dans une autre pièce avec une intensité croissante à chaque fois en fonction des mauvaises réponses données. Les chercheurs ont alors constaté que 90 % des bénévoles ont suivi l’ordre d’infliger le plus haut niveau de choc disponible, un taux très similaire à ceux observés avec les expériences de Milgram : « Quand les gens prennent connaissance de l’expérience de Milgram, ils disent toujours : “Je ne ferais jamais cela”, raconte Tomasz Grzyb. “Notre étude a une fois encore illustré le pouvoir phénoménal de la situation à laquelle les sujets doivent faire face et la facilité avec laquelle ils acceptent de faire des choses qui leur semblent désagréables.”
Un demi-siècle après les expériences originales de Milgram sur l’obéissance à l’autorité, la majorité des gens sont toujours prêts à électrocuter une personne sans défense.