Imaginez que plus d’un tiers de votre maison soit invisible. C’est exactement le problème auquel les astrophysiciens faisaient face depuis des décennies : ils savaient que de la matière ordinaire manquait à l’appel dans l’univers, mais impossible de mettre la main dessus. Aujourd’hui, grâce à deux approches révolutionnaires, ce mystère cosmique vient d’être résolu.
Un puzzle cosmique de 95 ans
L’univers nous réserve décidément bien des surprises. Alors que nous pensions connaître sa composition, la réalité s’avère bien plus complexe. La matière ordinaire – celle qui constitue notre corps, la Terre, le Soleil et toutes les étoiles visibles – ne représente qu’une infime partie de l’univers : à peine 5% de son contenu total. Le reste ? Un cocktail mystérieux composé de matière noire et d’énergie noire, dont la nature nous échappe encore largement.
Mais le problème ne s’arrêtait pas là. Même ces modestes 5% de matière ordinaire posaient un casse-tête aux scientifiques. Les calculs théoriques prédisaient l’existence d’une quantité bien précise de cette matière dans l’univers primordial, mais quand les astronomes faisaient leurs comptes en observant galaxies et étoiles, il manquait plus d’un tiers à l’appel.
Cette matière fantôme devait logiquement se cacher quelque part dans les vastes étendues qui séparent les galaxies. Seulement voilà : observer du gaz ténu et quasi invisible dans l’immensité intergalactique relevait de l’impossible avec les technologies de l’époque.
Des signaux radio venus de l’espace pour résoudre l’énigme
La solution est venue d’un phénomène découvert il y a seulement une dizaine d’années : les sursauts radio rapides, ou FRB pour Fast Radio Bursts. Ces événements cosmiques spectaculaires libèrent en une fraction de seconde autant d’énergie que notre Soleil en produit en plusieurs jours, sous forme d’ondes radio ultra-puissantes.
Le génie de cette méthode réside dans un principe physique élégant. Lorsqu’un signal radio traverse du gaz, ses différentes fréquences ne voyagent pas exactement à la même vitesse – un phénomène appelé dispersion. Plus il y a de matière sur le trajet, plus cette dispersion est importante. En analysant précisément comment les signaux des FRB se déforment pendant leur voyage intergalactique, les chercheurs peuvent littéralement « peser » la matière invisible qu’ils traversent.
L’équipe dirigée par Liam Connor de Harvard a ainsi étudié 69 sursauts radio provenant de distances variées, du plus proche situé à « seulement » 11,7 millions d’années-lumière, jusqu’au record-holder FRB 20230521B, détecté à l’incroyable distance de 9,1 milliards d’années-lumière. Leurs calculs ont confirmé la présence de cette matière manquante dans l’espace intergalactique.
Une confirmation éclatante par les rayons X
Pour valider ces résultats extraordinaires, une seconde approche totalement indépendante a été développée. Cette fois, les scientifiques ont exploité une propriété remarquable du gaz intergalactique : chauffé à plusieurs millions de degrés, il émet naturellement des rayons X.
Deux télescopes spatiaux de pointe, XMM-Newton de l’Agence spatiale européenne et Suzaku du Japon, ont uni leurs forces pour scruter le superamas de Shapley. Cette structure colossale, située à moins d’un milliard d’années-lumière de nous, rassemble plus de 8 000 galaxies dans une masse dépassant 10 millions de milliards de fois celle de notre Soleil.
L’objectif était ambitieux : détecter un filament de gaz s’étendant sur 23 millions d’années-lumière, soit 230 fois la taille de notre Galaxie, reliant les extrémités du superamas. Mission accomplie : les mesures ont parfaitement concordé avec les prédictions théoriques.

Une victoire pour la cosmologie moderne
Cette double confirmation représente bien plus qu’une simple découverte scientifique. Elle valide nos modèles cosmologiques les plus avancés et démontre que l’univers s’organise effectivement selon une « toile cosmique » – un gigantesque réseau tridimensionnel où galaxies, amas galactiques et filaments de gaz dessinent l’architecture de l’univers.
Konstantinos Migkas, chercheur principal à l’Observatoire de Leyde, ne cache pas son enthousiasme : « Pour la première fois, nos résultats correspondent étroitement à notre modèle cosmologique de référence. Il semble que les simulations aient été exactes dès le départ. »
Cette révélation ouvre de nouvelles perspectives fascinantes pour comprendre l’évolution de l’univers depuis ses premiers instants jusqu’à aujourd’hui, et peut-être même prédire son avenir lointain.
