Quand 12 000 tonnes de peaux d’oranges mènent à l’élévation d’une forêt luxuriante

Crédits : Daniel Janzen and Winnie Hallwachs, University of Pennsylvania

Un projet de conservation expérimental abandonné et oublié depuis le milieu des années 1990 aura finalement conduit à une étonnante victoire écologique près de deux décennies plus tard.

Au milieu des années 1990, Daniel Janzen et Winnie Hallwachs, deux écologistes de l’Université de Pennsylvanie, se sont associés avec une entreprise locale de production de jus d’orange, Del Oro, au Costa Rica, pour tenter de reverdir des terres appauvries. Le plan visait alors à déverser mille remorques remplies d’écorces d’oranges dans un pâturage stérile, l’idée étant ici de mettre en évidence l’intérêt des déchets agricoles pour régénérer la végétation. Mais tout ne s’est malheureusement pas passé comme prévu… du moins à l’époque.

Le projet fut en effet abandonné quelques mois plus tard après avoir été dénoncé par une entreprise concurrente, TicoFruit, arguant que la première avait « souillé » les terres du parc. Le projet délaissé, les déchets jonchaient tout de même sur le sol qui n’a depuis jamais été nettoyé. Il n’en fallait pas tant pour Dame Nature. Le déluge de déchets organiques riches en nutriments aura eu un effet presque instantané sur les terres. Fertilisé, le pâturage stérile a laissé place seize ans plus tard à une forêt prospère et luxuriante.

Une équipe dirigée notamment par Timothy Treuer et Jonathan Choi, des chercheurs de l’Université de Princeton, a récemment procédé à l’analyse d’une parcelle de trois hectares. « C’était tellement recouvert d’arbres et de vignes que je ne pouvais même pas voir le panneau de deux mètres de long avec un lettrage jaune brillant marquant le site qui se trouvait à seulement quelques mètres de la route », a déclaré Timothy Treuer. Après avoir échantillonné les sols, les deux chercheurs ont tenté de déterminer dans quelle mesure les épluchures d’orange avaient influencé la croissance de la végétation locale. Ils ont ainsi comparé leurs échantillons avec ceux d’un pâturage voisin dépourvu de peaux d’oranges.

Crédits : Daniel Janzen and Winnie Hallwachs, University of Pennsylvania

Les résultats publiés dans la revue Restoration Ecology suggèrent sans surprise que la zone fertilisée par les déchets d’oranges avait des sols plus riches, une biodiversité d’arbres plus conséquente (en terme de biomasse et de variété d’espèces) et une plus grande fermeture de la canopée forestière. Les dépôts de déchets d’orange ont également considérablement augmenté les niveaux de macronutriments et micronutriments présents dans les sols. Bien que les mécanismes exacts menant à l’élévation de cette incroyable forêt restent encore quelque peu mystérieux pour l’instant, les chercheurs espèrent que le succès remarquable de cette décharge abandonnée pourra inspirer d’autres projets de conservation semblables. David Wilcove, coauteur de l’étude et professeur de biologie au Princeton Environmental Institute, suggère par exemple que nous pourrions « utiliser les “restes” de la production alimentaire industrielle pour restaurer les forêts tropicales ».

Alors qu’un tiers de la nourriture est gaspillée au niveau mondial, de grandes quantités de déchets végétaux pourraient effectivement participer à l’enrichissement des sols (et ce, sans surcoût). D’autant que la victoire est double : en plus du traitement des déchets et la revitalisation des paysages arides, les forêts les plus riches piègent de plus grandes quantités de carbone dans l’atmosphère, ce qui signifie que des parcelles de terrains régénérés comme celui-ci pourraient finalement aider à sauver la planète.

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